Le leadership ou l’art de créer les conditions favorables à l’engagement des personnes

Dans une interview qu’il donna aux cahiers de SOL (Society for Organizational Learning), Muhammad Yunus, prix Nobel de la Paix, répond comme suit à la question : quelle est selon vous votre façon d’être un leader ?

ACP_9021« C’est une question difficile. C’est mon point de vue et j’imagine que d’autres y répondraient différemment. Simplement, je peux dire que je m’efforce de planifier à l’avance. Je travaille beaucoup. J’essaie d’encourager mes collègues à exercer leurs capacités. Je ne dis jamais que j’ai fait telle ou telle chose, mais j’essaie de reconnaître ce que chacun a apporté : « c’est toi qui m’a donné cette idée », etc. Je ne veux pas prendre mais donner. Je fais en sorte que mes collègues prennent plaisir à travailler avec moi. Je me donne du mal pour écouter, puis, quand je fais connaître ma décision, elle est acceptée car j’ai commencé par écouter les gens qui m’entourent. Et lorsque je prends une décision qui va à l’encontre de ce que mon équipe m’a recommandé, je dis : « j’ai peut-être tort, mais c’est ma décision ». Ainsi, les gens ne se sentent pas rejetés en se disant : « il ne m’a pas écouté du tout ».

Odile petit indexOn reste un moment sans voix devant une telle réponse, si éloignée des plans et modèles de leadership en 10 leçons qui nous viennent en général des Etats-Unis, tellement simple, on pourrait presque dire simpliste…C’est souvent ainsi quand il s’agit de savoir-être, c’est-à-dire d’attitudes et de comportements qu’on ne saurait mettre en œuvre comme de simples techniques ou recettes mais qui traduisent de véritables dispositions intérieures.

De fait, posons-nous honnêtement la question : est-il si simple de reconnaître ce que tel collaborateur ou collègue a apporté dans la réussite de l’action que l’on a conduite ? Nous en rendons même encore compte, empressés sommes-nous souvent d’en obtenir la reconnaissance ou d’en savourer la satisfaction personnelle…Avons-nous le souci que les autres aient plaisir à travailler avec nous ? Nous donnons-nous du mal (que l’expression est juste !) pour écouter, pour écouter vraiment au point de comprendre notre interlocuteur et toutes les implications de sa pensée ou de ses arguments ? Nous sommes contraints de reconnaître que toutes ces façons de faire, si simples, sont extraordinairement difficiles, qu’elles ne relèvent pas d’un simple entraînement mais d’une véritable transformation personnelle, d’une lente éclosion que ceux et celles qui ont pris les moyens de travailler sur eux-mêmes peuvent reconnaître. Ainsi en est-il du leadership : s’il est possible à tous de le développer et de l’acquérir, c’est au prix d’une transformation personnelle exigeante qui demande une bonne connaissance de soi et la mise en œuvre de qualités personnelles telles que l’écoute empathique, l’intérêt pour les personnes et la foi dans leurs aspects positifs, l’humilité, le sens de l’équité…

Muhammad Yunus nous met sur la voie de l’essentiel: derrière le leader, il est d’abord une personne, une qualité de personne qui marque, qui inspire la confiance. Dans nos formations au management d’équipe (en particulier « Développer son leadership pour entraîner son équipe), lorsque nous demandons aux participants de préciser les caractéristiques des personnes qui les ont le plus marqués en termes de leadership, un certain nombre de qualificatifs reviennent toujours et font l’unanimité : la capacité d’écoute, la disponibilité, le professionnalisme (les compétences techniques dans le métier concerné), la fiabilité, l’équité, le parler vrai, l’authenticité, l’ouverture au travail en équipe, le sens relationnel (plus essentiel que le savoir-faire en communication), la simplicité… Je ne suis pas exhaustif car il ne s’agit pas, bien sûr, de rassembler toutes ses qualités. Le leader n’est pas un superman ou une superwoman. Ce serait même d’une certaine façon tout le contraire. Mais il a su développer les qualités personnelles et humaines qui sont les siennes. Il ose les manifester dans ses relations de travail, il n’a pas peur d’apparaître tel qu’il est, au-delà du costume de chef dans lequel certains ont tendance à rester enfermés. Il est solide et crédible d’abord à travers ce qu’il est. En synthèse, on pourrait dire que sa personne fait autorité, elle inspire le respect et la confiance. Il me semble que cette qualité d’être, qui n’efface pas les singularités et les différences (certains seront plus marquants par leur capacité d’écoute, d’autres par la vigueur de leur pensée, d’autres encore par leur optimisme, leur capacité à déplacer les montagnes…etc), est un enjeu essentiel pour construire la société de demain. Qu’il s’agisse des hommes politiques, de la vie professionnelle ou associative et même de la vie de famille, il n’a jamais été aussi vital de voir émerger des hommes et des femmes sachant cultiver cette forme de leadership !

Jean Michel ANOT, formateur agréé PRH

4 commentaires sur « Le leadership ou l’art de créer les conditions favorables à l’engagement des personnes »

  1. J’aime cette approche, qui n’est pas technique d’abord, mais profondément humaine, faisant ressortir le sens profond du leader que l’on a envie de suivre.

  2. Merci jean- Michel pour cet article
    Je me sens rejointe quand tu parles d’un travail sur soi qui permet l’éclosion des qualités humaines pour fédérer son équipe.
    Et je suis encouragée sur mon propre chemin lorsque tu dis que le leadership n’a pas peur d’apparaître tel qu’il est et ce qui me vient alors, avec ses limites aussi; son humanité ouvre un espace de liberté.

  3. Bonjour Jean-Michel,
    Tout d’abord merci pour le partage de cette interview. Comment pourrais-je me contenter de sa simple lecture ? Je songe à mon passage chez PRH et ce que cela a déclenché chez moi, en termes de comportement, mais aussi au plan de mes choix professionnels et de vie.
    Les vingt années « actives » qui ont suivi ont exclusivement été consacrées à cet « art » du management qui nous est cher !

    Je réagi naturellement aux propos de Muhammad YUNUS à chaque fois qu’il parle de son fidèle attachement à l’écoute. Et d’enchaîner sur une première citation de Michel CROZIER in « La Crise de l’Intelligence » – (1995) :
    « Nous réagissons au problème de la communication en croyant qu’il importe d’abord d’apprendre à parler alors qu’il faut commencer par écouter »

    Quant aux relations que ce monsieur a su construire pour en arriver à de telles conclusions, notamment lorsque, suite à la démonstration sans faille de sa capacité d’écoute vis-à-vis des membres de son équipe, il nous explique que, quand bien même n’a t-il pas toujours été d’accord avec leurs points de vue, il réussissait à enchaîner le geste à sa parole sans pour autant susciter le conflit. Preuve en est. Dont acte.
    Et de proposer aux lecteurs une seconde citation, encore plus liée à « l’école » PRH puisqu’il s’agit de Carl R. ROGERS, et en lien avec la relation du manager avec son équipe :
    « (…) toute critique ne sera constructive que si l’on démontre au destinataire que l’on sait soi-même se remettre en question » ; ici, le fruit de la transformation personnelle exigeante dont il est question dans le présent article…

    Et j’ajoute qu’en effet, si l’on ne réussit pas cet exercice au vu et au su de son équipe, il n’y a que très peu de chance d’être en mesure de démontrer et prouver son empathie, le sens de l’équité, l’authenticité, le respect universel et notre propre humilité.

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