Les ravages de l’idéal

Ecoutons J, utilisatrice de la formation PRH, qui nous parle de son vécu pendant le confinement.

« Quand le confinement a été annoncé, je me suis sans m’en rendre compte trouvée rattrapée par mon pire ennemi : l’idéal.

Cela s’est fait de manière insidieuse, sous les atours de très belles intentions : passer du temps de qualité avec mes enfants, leur apprendre des recettes de cuisine, et, tiens, allons, une recette par jour !

Faire du sport, bien sûr, cela m’est indispensable. Comme la piscine était fermée, j’ai dû me remettre au jogging. Je suis allée courir environ quatre fois par semaine, et au minimum 45 min. Il fallait aussi faire le ménage… Et pourquoi pas en profiter pour nettoyer à fond ? Vider les placards de la cuisine pour récurer toutes les étagères empoussiérées… quelle joie de voir ma cuisine rutiler !

Tout cela était magnifique, mais au bout de deux ou trois semaines, je me suis trouvée épuisée. Je mettais cela sur le compte du cumul travail/enfants/vie domestique, mais il y avait aussi autre chose : une exigence excessive au regard de mes forces disponibles, au nom d’un idéal qui s’était imposé à moi dans cette période critique.

Avec le recul, je comprends ce retour de l’idéal. L’annonce du confinement m’a mise dans l’insécurité : comment vais-je faire face ? Cumuler une activité professionnelle prenante et mes enfants à la maison, avec des échéances importantes ((brevet, bac de français), c’est objectivement une gageure. Il y avait une insécurité objective mais aussi le réveil de souffrances anciennes que cette période a réactivées.

L’insécurité chez, moi, est comme un incendie qui déclenche l’arrivée automatique de mon pompier personnel : le Moi Je. Celui-ci, plein de bonne volonté, me propose alors un idéal, générateur d’un fonctionnement perfectionniste qui calme mon inquiétude. Oui ! Bizarrement, ces exigences sur moi me rassurent et me donnent un cadre auquel je m’accroche pour retrouver une sécurité… extérieure. Je perds alors la notion de mes limites, ma conscience profonde est en berne et je me lance à corps perdu dans une course à la performance qui m’a souvent joué des tours.

J’ai pu me réajuster quand j’ai compris ce qu’il se passait. Il m’a pourtant fallu du temps… et des relations d’aide pour revenir au réel et prendre la mesure de ce qui se jouait en moi. Pour retrouver la perception d’une sécurité intérieure, la seule vraie sécurité, qui tient compte de moi, de mes besoins, de mes limites, du réel. J’ai pu alors lâcher les cours de cuisine et simplifier les repas, remplacer le jogging par de la marche rapide, nettoyer la maison sans acharnement. »

La poursuite d’un idéal associé à son bras armé, le perfectionnisme, est une tyrannie qui fait des ravages : insatisfaction chronique, dévalorisation, jugement sur soi et culpabilité de ne pas être là où on « devrait » être. Quelle frustration ! Quelle dépense d’énergie à la poursuite d’objectifs toujours plus élevés à mesure qu’on les atteint.

Comment sortir de cette prison ? Cela demande un cheminement approfondi pour comprendre les racines de l’insécurité ressentie et poser, petit à petit, les bases d’une sécurité intérieure. Cette sécurité se construit à partir de ce que nous découvrons de notre identité profonde, de nos réalités d’être qui deviennent des points d’ancrage auxquels nous pouvons nous accrocher par gros temps. C’est un travail de longue haleine mais qui vaut le coup, car c’est bien notre liberté d’homme ou de femme qui est en jeu.

Marie-Pierre Ledru, Formatrice agréée PRH

 

16 commentaires sur « Les ravages de l’idéal »

  1. Oh oh, ça résonne vraiment chez moi ! Merci pour cette belle description qui est aidante dans sa précision pour aller faire un bout de chemin en soi. Repérer comment mon perfectionnisme vient me « sécuriser » mais me coupe de ma capacité à accepter le réel en moi et autour de moi ; cette acceptation qui mène a mes forces intérieures oh combien précieuses et bien présentes.

  2. La tyrannie du fonctionnement perfectionniste est bien décrite et mise à jour.
    Merci de nous rappeler qu on peut sortir de cette prison.
    Et que le lieu de la sécurité profonde c est la « maison intérieure » c à d son identité profonde.

  3. Merci pour ce beau témoignage, touchant. Je m’y retrouve, le confinement a été pour moi révélateur d’automatismes de demandes d’être reconnue (inconscientes d’abord). Chez moi, « m’occuper de l’autre » en leur faisant leurs achats par exemple, pour être appréciée au village, pas oubliée….Maintenant, je continue à aider mais avec plus ce conscience, sans exagérer. J’écoute davantage une voix intérieure  » tu n’as pas à être parfaite, si tu le fais, le plaisir d’aider doit le remporter »!
    Belle journée
    Anne- Catherine

  4. Merci beaucoup Marie-Pierre pour ton partage à « coeur « ouvert ».
    Je suis rejointe et encouragée dans mon propre cheminement.

  5. Merci pour ce témoignage qui me rejoint complètement ! J’ai mieux compris comment le perfectionnisme cache l’insécurité. Se donner des cadres me paraît bon pour ne pas se laisser aller quand il y a moins de contraintes extérieures mais garder une oreille attentive à ce qu’on sent à l’intérieur pour ajuster les cadres. Mon père disait, « le mieux est l’ennemi du bien ».

  6. Les mystiques rhénans comme les moines japonais apprécient le vide et ils ne cherchent pas à le remplir, ce qui leur donnent une sécurité intérieure.
    Quand on n’est pas équipé, le vide peut se remplir par tout et n’importe quoi. Hélas, parfois par un dieu imaginaire et non réel.
    En lisant cet article, j’entends que PRH donne un équipement !

    Merci pour cet article.

  7. Merci pour ce témoignage très clair et captivant ainsi que vos commentaires.
    Cela m’invite à un coup de frein !

    Le confinement est là depuis une semaine ; certaines rencontres, activités, projets, sont stoppés ; c’est frustrant, agaçant, limitant mais aussi, un petit peu de temps se libère le we car nous serons d’avantage en famille, à la maison. Et là, comme dans ce témoignage, ma volonté s’emballe, la course à l’action recommence, dans tous les sens ! Je comprends mieux les motifs de mon insatisfaction !

    Cela me donne envie de sonder mes instances pour sentir QUOI est vraiment BON et ajusté de vivre EN PLUS ou MIEUX pour moi le we pendant ces quelques semaines de confinement?
    A voir ensuite si cela rejoint les désirs et priorités de mon mari…
    Pas si simple mais merci d’avoir éveillé cela en moi.

  8. Ce deuxième confinement et les événements qui l’entourent me semblent profondément déclencheurs, ( pour moi et autour de moi) déclencheur en effet d’insécurité, d’angoisses, dont le fonctionnement “perfectionniste” n’est peut-être qu’une des formes d’apaisement illusoire.
    Et si ce “perfectionnisme”, cette hyper-activité, sous des formes différentes en chacun, était une tentative vaine d’échapper à cette sensation de fond si douloureuse et donc si difficile à en-tendre, à écouter, celle de l’impuissance?
    Impuissance “existentielle “ particulièrement révélée par la situation actuelle ( nous sommes mortels) ,remontées également de tant d’impuissances vécues par l’enfant et ainsi déclenchées , enfin et en même temps, impuissance “objective”: que “pouvons-nous“ face aux virus, aux attentats, face aux élections américaines, aux guerres , à la pauvreté, au changement climatique et ce qu’il engendre etc..
    Pourrions-nous sortir de cette prison, de cet “enchaînement” délétère pour entrer dans nos “richesses d’être” sans pouvoir écouter et laisser “parler” cette sensation d’impuissance, ces couches successives d’empreintes et de vécus d’impuissance, cachées derrière nos peurs, nos tristesses, nos colères, nos culpabilités, nos angoisses?
    Donner sa voix à l’impuissance, (si possible accompagnés) pour l’entendre patiemment dans ses récurrences, ouvrent la voie à notre cœur d’origine, à son unicité, à ce qu’il “est” , à ce qu’il porte, à ce qu’il “PEUT “….vivre et devenir , ici et maintenant dans son aujourd’hui.

    1. Bonsoir, Nicole. Vos mots me rejoignent profondément: j’aurais pu dire sensiblement les mêmes mots. Que faire face à toutes ces peurs? (J’en ai connu de très grandes dès l’enfance): se faire accompagner, chercher en soi un « lieu » où trouver de la sérénité grâce à une pacification du « coeur » Cela peut demander beaucoup de temps, je le concède mais je ne vois pas comment faire autrement. Un long travail sur moi et le soutien d’une foi bien vivante m’aident sur ce long chemin. Courage et Espérance! Denise

  9. Éblouissant d’écho et de justesse
    Merci Marie Pierre !!!
    Bien avec vous, en quête de cette sécurité intérieure, profonde, reposante, pour vivre libre, émancipée de ce fonctionnement si bien décrit ici : la tyrannie rassurante et extenuante du perfectionnisme et de l’idéal…

  10. SI bien dit. Merci de partager…. Lìnsecurite secache de bein des facons et cèst dans des situations differentes que ll òn s`en rend compte…. Denise

  11. Merci pour ce témoignage, sa force et son authenticité !

    En le lisant, j’avais envie d’ajouter une dimension de l’idéal qui m’a piégée sans que je m’en aperçoive, durant le premier confinement.
    Alors que je pensais m’être plutôt libérée, intérieurement, par rapport à une série de dictats sur ce qu’il faut faire/être/avoir si on est un homme ou une femme, si on a tel ou tel âge,… à mon insu, j’ai été peu à peu et insidieusement envahie par certains messages des médias… parce qu’ils allaient justement dans le sens de mes valeurs fondamentales, dans le sens de ce cheminement intérieur qui m’est cher !
    J’entendais ces messages ressassés du « temps pour soi », de « découverte de la méditation », de « prendre soin de son corps », de « questionnement salutaire », « d’évolution » et « d’enrichissement intérieurs »
    … et moi, je me sentais désorientée, déconcertée, – alors que oui, effectivement, j’avais plus de « temps pour moi »- , de me sentir inquiète, de ne pas vivre d’évolution intérieure plus intense, plus rapide, de ne pas connaître l’extase décrite par les médias [en plus de la satisfaction de « faire son pain soi-même », obligatoire pour pouvoir qualifier son confinement de « rentable » (!) ;-)]. J’avais l’impression de ne pas faire partie de ces personnes capables de faire de leur confinement une période « vraiment » positive et je culpabilisais…

    Pendant ce premier confinement, moi, je n’ai pas pas fait de découverte transcendantale, pas appris une langue étrangère ou fait un tri extraordinaire.
    J’ai juste, pour la première fois de ma vie, mis de semences dans des petits pots sur mon balcon. J’ai soigné ces petites graines au jour le jour, je les ai regardé germer, sortir une petite tige frêle, puis des toutes petites feuilles, j’ai cherché comment trouver une solution pour les rempoter alors que tout était fermé, j’ai eu la joie de les voir pousser, grandir, arriver à maturité, fleurir
    … et je me suis souvenue : la croissance intérieure « va », continue sa route, à son rythme, quels que soient les obstacles ou circonstances. Il y a un rythme de la Vie en soi, un temps nécessaire à chaque étape, sur lequel ma volonté n’a pas de prise.
    La Vie trouve son chemin. S’il y a un caillou, la tige surgit un peu plus loin. Si le terrain n’est pas bon, une mise à nu des racines, un peu de bon terreau à un moment où tout semblait perdu/trop tard et hop, la croissance en berne reprend (véridique !) . Si une branche meurt, une autre pousse, et la plante, parfois atypique, est au total toujours belle.

    C’est à présent le deuxième confinement. En particulier, les personnes atteintes par la maladie, la coupure « en vraie présence », l’actualité, les cafouillages, la crise… les difficultés sont et seront bel et bien présentes !
    … mais je viens de récolter des graines de mes petites plantes. Je vais pouvoir en replanter au printemps prochain. La Vie continue.
    Il me reste à garder bien vivante en moi cette sensation de confiance en la Vie qui continue sa route, à l’intérieur de chacun(e), à son rythme propre.
    Même si dans des moments « de jachère » comme ceux d’un confinement, de mon côté, je la perçois peut-être moins, « Elle » est bien là, belle, obstinée, forte et fidèle.

    Bonne suite à chacun(e) !

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