Dans mon enfance, les aventures de Robinson Crusoé m’avaient quelque peu fasciné. Se débrouiller seul, être ingénieux pour s’en sortir, survivre, ne plus dépendre de personne, profiter des bienfaits de la solitude, mais aussi ses aspects moins merveilleux, le danger menaçait parfois. Mais on peut trouver un ami — Vendredi — quelqu’un sur qui on peut compter.
Plus tard, il y eut Tintin et l’île mystérieuse, avec son champignon démesuré et l’araignée géante. Cela pouvait être tragique le désir de posséder une île inconnue, tombée du ciel, scorie de l’espace, bientôt engloutie.
Un été, j’avais 10 ans à peine, une île du Morbihan accueillit la famille vacancière. Elle n’était pas bien grande. Certes on ne pouvait pas faire comme le Petit Prince qui déplaçait sa chaise pour voir un coucher de soleil, mais il ne fallait pas bien longtemps pour passer de l’Est à l’Ouest. J’avais décidé que cette île était à moi. J’étais un pirate qui en avait pris possession.
La rentrée scolaire ramena l’enfant au réel. Plus d’île. Se retrouver sur une mer agitée à l’intérieur de soi, cherchant désespérément des débris de naufrage où se raccrocher ne donne pas vraiment de grandes réjouissances. Parfois on trouve une embarcation, pour un temps, lorsque quelqu’un semble comprendre le désarroi de surnager au milieu de tempêtes relationnelles dont on se croit responsable, ou l’origine, alors qu’on cherche juste s’il n’y aurait pas une terre où enfin trouver un minimum de sécurité, parce qu’on peut y poser les pieds.
Cela dura quelques années. Il y a quand même une certaine force pour surnager. On ne coule pas à pic. C’est pas le mieux, mais ça pourrait être pire.
Un jour, dans un stage, un schéma est présenté : le schéma des fonds sous-marins. Ou comment peut surgir une terre intérieure, un roc solide pour une vie moins ballottée par les vents des évènements qui surgissent. À gauche du schéma l’océan et ses aléas, ses dangers, à droite un terre solide, entre deux quelques radeaux de survie. Je m’y retrouve, moi, sur mon radeau, accroché à quelques bricoles qui traînaient par là, quelques bonnes qualités que je me reconnais mais qui sont bien vacillantes dans l’océan de mes défauts, quelques actions qui n’ont pas déplu à l’entourage, mais les autres font tellement mieux que moi. Mes petits trucs sont d’un ridicule dont tout le monde remarque certainement l’inanité. Quant aux relations, je rêve de pêcher en eaux profondes et de trouver les personnes qui combleraient tout ce que je n’arrive pas à trouver par moi-même.
Un autre jour, encore un autre stage. Il est question d’analyse de sensations. L’animatrice précise qu’on n’est pas obligé de choisir le sombre, toujours prêt à bondir de l’ombre. J’opte pour un petit ressenti ténu qui pointe à peine, plutôt sympathique, et que je ressens à portée de stylo. Soudain, en suivant ce fil ténu ressenti, venu des profondeurs intérieures, comme un poussée inattendue, un surgissement. Une parole vibration qui s’impose massivement : « mon être, c’est ma terre« .
Il faut lire au groupe. Quelle banalité cette phrase…. Je vais la zapper à la lecture. Mais impossible. Elle rejaillit avec une intensité maximale. L’avoir écrite m’a interpellé fortement. La lire devant les autres, avec intense émotion, fut la naissance d’une transformation de toute ma personne.
Désormais, un moi existe, le mien. Je cherchais une île, et ma terre a surgi des profondeurs. J’ai enfin où poser les pieds. Il restait à défricher, semer, cultiver, et oser montrer qui je suis maintenant.
C’était pourtant parti d’un juste pas grand chose….
Bernard Descampiaux, ancien formateur agréé PRH
Votre post, beau comme un poème, Bernard, me renvoie à la très belle chanson de Serge Lama :
Une île, comme une cible d’or
Tranquille comme un enfant qui dort
Fidèle, à en mourir pour elle,
Cruelle, à force d’être belle,
Une île, une île
Comme un enfant qui dort.
Vous avez judicieusement changé la fin de la chanson, Bernard :
Une île, cette île, c’est…. MOI
Merci pour votre beau témoignage.
Philippe Sanchez
Bonjour, Bernard, que je ne connais que par cette analyse. Analyse qui me va droit au cœur, grâce à sa forme poétique d’expression. Ce langage me parle et réveille en moi la vie. Et surtout il m’emmène dans les dédales de votre expérience de recherche d’un lieu sûr. Votre analyse me confirme que l’outil de l’analyse prh est un précieux cadeau, accessible à tous ceux et toutes celles qui cherchent à sortir de leur douloureux isolement, et, sans le savoir parfois, à appartenir à la famille humaine. Les livres de l’enfance et de l’adolescence sont de précieux stimulants compagnons de route. Vous leur rendez hommage. Merci, Bernard, de nous communiquer votre expérience en si peu de mots, et avec votre fraîcheur d’enfant.
Il suffit d’un « rien » pour que la vie émerge et nous bouscule suffisamment pour ne plus cesser de chercher de quoi nous sommes fait. Merci Bernard pour cette belle plongée en apnée dans notre monde intérieur, source de NEUF.
Ce témoignage me rejoint entièrement et profondément ! Merci à vous !
Que votre Terre intérieure soit féconde, la Promesse est là !