Les mots : mes amis ou mes ennemis ?

Je me sens enfermée, limitée par les mots, un peu handicapée.

Ça a été si difficile pour moi, les mots. Difficile d’apprendre à lire, à écrire. Les lettres se mélangeaient, les syllabes s’entrechoquaient. « Tu es dyslexique » me disait-on. Il fallait prendre des cours et rester des heures assises à une table.

Sans parler de l’orthographe ! Un ou deux « s » ? Un « f » ou « ph » ? Deux « l », « r » ou « m » … pourquoi ? Quant au son « é » : é, ai, ez, et, est, è … ?

Ah quoi bon ? quelle logique ? « Tu es mauvaise en orthographe » « tu es mauvaise en français » m’a-t-on assené tout au long de ma scolarité … 0 et 0 et encore 0 en dictée. « Dictée » un vrai cauchemar. Quelle angoisse quand le prof prononçait ce mot qui sonnait comme une sentence !

 Tout à coup, les mots étaient vides de sens. Ils n’étaient plus habités, ils devenaient de ridicules signes cabalistiques dont la logique m’échappait … Oui, je me sentais enfermée et piégée dans la complexité de la langue, dans le labyrinthe des lettres.

Il y avait aussi les mots que je ne « comprenais » pas, que je ne prenais pas en moi, que je n’avais pas intégré en moi. Ils ressemblaient à des coques de noix vides. Je les connaissais oui, je les avais entendus, mais il n’y avait pas d’images en moi qui les représentaient, qui leur donnaient chair et sang !

 Et pourtant, j’adorais lire. Je me délectais à lire les pages de tous ces livres que j’avalais avec avidité. Mes yeux couraient alors à toute vitesse sur les mots, les reconnaissants en bloc et non pas découpés en petits morceaux. D’emblée, des images dansaient dans ma tête, des visages, des lieux formaient tout un monde en moi, plus vrai que vrai, un monde vaste où je me délectais à voyager, à rester, à fuir le réel et à entrer dans l’imagination et la créativité. Je me fondais dans la peau des personnages, vivant leur vie, m’évadant de la mienne.

Fuir … oui, c’est cela ! je voulais fuir le réel de ces mots prononcés autour de moi, mots qui tranchent, coupent dans le vif et dans la chair, mettant à nu les entrailles, rangeant, classant dans des cases, jugeant, sapant tout sur leur passage. Des mots qui ébranlaient toute cette vie que je sentais frémissante en moi, me plongeant dans un désarroi profond. Ces mots me coupaient de ma vie, de mes énergies, de mes intuitions, de mon être et du dynamisme de vie, source bouillonnante en moi, qui cherchait à jaillir mais ne le pouvait pas.

Les mots sont-ils donc des amis ? Des joyeux compagnons qui m’entraînent vers les délices de l’imagination ? Sont-ils terribles et terrifiants ? Une arme de destruction jetant tout à terre, piétinant et rasant ?

Et le ton avec lequel ils sont prononcés ? Est-il amical, encourageant, léger et pétillant ? Ou grinçant et persiflant, une gifle reçue en pleine face ?

 Je me méfiais des mots, je me croyais handicapée des mots. Ce n’était pas pour moi !

Et puis le temps a passé et un jour j’ai fait la session « A l’écoute de mon monde intérieur ». Je n’ai même pas pris conscience qu’il fallait mettre des mots sur mon ressenti ! Aucun doute en moi, aucune appréhension. Les mots jaillissaient d’eux-mêmes, bondissant en moi et sur le papier. Ils sonnaient et se répondaient dans une mélodie harmonieuse qui mettait en musique mon monde intérieur si riche et si vivant.

Une quête du mot juste pour dire ce que je ressentais, un profond goût de la vérité et un élan passionné pour dégager la vie en moi, ont fait table rase de mes croyances, de mes peurs et de mes doutes.

 Les mots m’ont abîmée, oui, mais ce sont eux qui m’ont restaurée. Grâce à eux, je peux nommer, clarifier, conscientiser, faire le clair sur ce que je ressens. Par les mots, je suis re-créée, mise au monde au jour le jour, enfantée, restaurée, guérie.

Merci les mots, mes amis !

Annick Vauquelin, formatrice agréée PRH

14 commentaires sur « Les mots : mes amis ou mes ennemis ? »

  1. Stupéfiant témoignage!
    je vous rejoins dans ce que vous écrivez , nulle en dissertation française,grâce à PRH et à l’encouragement de mon accompagnatrice,j’ai appris à partir de mon ressenti à exprimer tout ce que je vivais intérieurement , les phrases sonnaient justes , c’était devenu clair, compréhensible pour les autres et pour moi,vrai joie que de vivre ses moments où les sensations pouvaient se dire , se crier…..comme quoi ,impossible n’est pas français …..
    Félicitations à vous , Annick
    Michèle

  2. Merci beaucoup pour cet article qui me rejoint totalement.
    Merci pour cette fine analyse.
    Moi aussi j’ai vécu un parcours très patient avec les mots, qui sont devenus mes amis au fil du temps, grâce à leur capacité à nommer ce qui serait restait « non né » sinon.
    J’ai appris les mots qui disent les émotions, les ressentis…et quelle joie !
    J’ai appris les mots qui nuancent, qui cherchent à comprendre, à rejoindre l’autre, à créer des liens respectueux… Quelle force !
    J’ai appris à oser m’exprimer « sans tout casser » … quelle audace et quel profit !
    Et la liste pourrait devenir très longue…
    Un beau sujet que celui des mots, merci d’avoir abordé ce thème !
    MO

  3. Quel témoignage magnifique, vivant, tellement éclairant ! merci, Annick de nous avoir partage cette analyse fine de ton vécu

  4. Merci Annick de ton témoignage.
    Il va redonner espoir à tous ceux qui ont eu /ou ont des difficulté avec l’apprentissage du français.
    J’ai été aussi « nulle » en dictée jusqu’à l’adolescence. Et tout d’un coup, ça s’est débloquée en moi avec un 0 faute vers 14 ans. Je n’ai jamais analysé cela mais ça correspond à une période de ma vie où je commençais à prendre ma vie en main, à savoir ce que je voulais. Peut être aussi en lien avec mon goût pour la lecture qui avait commencé 2 ans avant.
    Rien n’est donc jamais perdu !

  5. Annick, après avoir lu ton témoignage, je m’étais promis d’y répondre, tant je lui trouvais de ressemblances et de dissemblances avec mon expérience. Je m’attèle donc à la tâche aujourd’hui.
    Autant les mots n’étaient pas tes amis, sans doute en raison d’une méthode d’apprentissage qui ne te convenait pas, autant j’ai éprouvé de la joie à apprendre à lire et écrire : les voyelles chantaient à mes oreilles et dansaient en couleurs dans mon imagination ; leur assemblage avec les consonnes était un jeu pour moi. C’est sans doute pour cette raison que l’orthographe ne m’a pas posé de problème par la suite. Cette période de l’enfance est restée lumineuse dans ma mémoire.
    Mais tes difficultés en orthographe n’avaient pas entamé ton goût de la lecture. Tu n’avais pas besoin d’analyser les mots. Au fond, tu vivais avant l’heure la méthode globale !
    Quant à moi, le passage dans un établissement scolaire du secondaire, à la barre placée très haut, et sans que j’y fusse préparée, a stoppé ma joie d’apprendre et de lire. Après huit années de profond ennui entre les murs de mon collège, au cours desquelles je cherchais désespérément un sens à ces études, j’ai erré encore des années avant de découvrir prh. « L’écriture, ce n’est pas mon fort », ai-je dit en me présentant à ma première session. A quoi, le formateur m’a répondu : « Vous poserez quelques mots. Peut-être tenterez-vous quelques phrases… ». Le respect que j’ai ressenti de sa part à l’égard de mon désarroi m’a profondément marquée, et encouragée à sortir de mon enfermement, à oser mon écriture puis ma parole.
    C’est à la session d’introduction à l’outil d’analyse prh que commença à se révéler à moi le sens du mot, de la formule qui exprime ce que je ressens, ce que je vis. Je découvrais peu à peu l’intérêt que j’avais pour l’écriture. Je dirais, en raccourci, que je m’animais de l’intérieur en cherchant les mots justes qui disent ce que je vis. Je découvrais aussi que je suis habitée d’une source d’où coule la vie comme une rivière. L’amour que j’avais eu autrefois pour le b.a.ba n’était pas tari. Il avait trouvé seulement un barrage. L’amour reçu et ma détermination à progresser ont eu, avec le temps, raison de lui.
    Comme toi, Annick, je peux dire « merci les mots, mes amis. » Merci aussi à toi de m’avoir lancé ce défi de te répondre.

    1. Belle « réponse »…. expérience différente… mais non moins intéressante. J’aime écrire et je n’ai jamais regardé ce j’aime…. et pourtant il y a aussi une sorte de musique à chercher le mot juste pour écrire à des personnes ou pour décrire une sensation… Merci à tous pour vos commentaires suite à cet article.

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