En juin 2008, la Lettre PRH rencontrait la psychanalyste Marie Romanens, à propos du développement durable. Selon elle, comprendre comment nous en sommes arrivés à une telle situation écologique est indispensable si nous voulons sauver la planète. Mais adopter un comportement plus responsable nécessite aussi de changer nos coeurs et nos esprits.
Alors que depuis plusieurs décennies les militants écologistes n’ont cessé de nous alerter, comment avons-nous pu continuer à laisser la situation se dégrader à ce point ?
M.R. : Si l’on porte le regard sur la trajectoire de l’humanité, nous constatons une progressive échappée de l’individu par rapport à tout ce qui l’enveloppait initialement. Aux temps “primitifs”, il n’existe pas de séparation entre l’être humain et la nature. Le “je” n’est guère différencié, chaque personne se fondant aussi dans la communauté. Le triple lien nature-société-être humain s’est progressivement défait pour aboutir à “l’Individualisme démocratique”. Désormais, chaque individu se voit accordé des droits, il est libre de se déterminer. Mais il s’est coupé de la nature, de ses semblables et de lui-même.
Vous dites que nous nous sommes éloignés de nous-mêmes en même temps que de la nature. Pouvez-vous développer cette idée ?
M.R. : Quand l’individu devient plus libre, il y a risque d’anarchie. C’est pourquoi, parallèlement, nous avons affirmé la suprématie de l’esprit sur la chair, la prépondérance de la raison sur l’instinctuel. Le respect dû à chacun grâce à l’établissement de la démocratie est une avancée considérable qui donne la possibilité de devenir des sujets, participant pleinement à l’évolution du monde par leur potentiel créatif. Mais refouler l’instinctuel nous a coupé d’une bonne part de nous-mêmes.
C’est pourquoi vous parlez d’une “pollution intérieure” aussi importante que la pollution extérieure ?
M.R. : Oui. Coupés de nos émois, de nos ressentis, de nos élans profonds, nous nous retrouvons dans l’obligation de nous en tenir au seul niveau de la logique et de faire appel à notre volontarisme pour répondre au modèle dominant, basé sur le système production-consommation, en faisant taire en nous ce qui ne lui correspond pas. Puis, comme cette attitude nous laisse insatisfaits, nous devenons des personnes dépendantes : accrochées à des objets censés nous apporter le bien-être ou à nos proches censés nous rendre heureux. Nous confondons désir et besoin. D‘autant que le monde économique, devenu tout puissant, excite nos appétits. La publicité nous exhorte à “jeter ce qu’on avait la veille dès qu’il existe plus nouveau”. Pire, elle utilise des notions valables en elles-mêmes pour les transformer en marchandise : “Si vous avez tel produit, vous aurez telle valeur”, ce qui entretient la confusion.
En quoi est-ce parce que le processus démocratique n’est pas allé assez loin que la planète se trouve aujourd’hui en danger ?
M.R. : Aller plus loin dans le processus de la démocratie, c’est devenir sujet en conjuguant affirmation de soi et appartenance au monde qui nous entoure. Nous nous sommes séparés, mais comme de petits enfants qui, découvrant l’ivresse des premiers instants d’autonomie, ne veulent plus rien savoir du lien qu’ils ont encore avec leurs parents. Nous nous sommes séparés sur le mode de la domination qui ignore le besoin que l’on a de l’autre, sur le mode du clivage qui dénigre la valeur de ce qui nous a portés jusqu’à présent : la nature et le lien social.
Comme si l’on ne pouvait pas être à la fois seul et avec, à la fois libres et reliés !
Nous nous sommes positionnés en maîtres. Comme si tout nous était dû, comme si nous pouvions nous comporter sans dommage dans le sens de nos seuls intérêts immédiats.
Comment “inverser la vapeur “?
M.R. : En sortant de notre position égotique pour nous rendre autonomes tout en nous percevant reliés. Tant que nous n’aurons pas suffisamment cheminé dans cette voie, il ne sera pas possible d’arrêter le processus de destruction planétaire. L’individu se débrouillera pour contourner la loi, la rabioter et ne pas changer vraiment.
Or, reconnaître notre appartenance, reconnaître que l’autre compte et accepter la vie dans sa totalité ne peut se faire que si nous commençons par nous accueillir nous-mêmes, par renouer avec ce qui se produit dans notre corps en terme de sensations, d’émotions, d’affects, de désirs. Toute une nature intérieure sauvage dont nous nous sommes coupés aussi sûrement que nous nous coupons de la nature extérieure, car elle nous fait peur.
Lorsqu’elle se réalise, cette démarche d’unification avec nous-mêmes nous permet de ne plus attendre autant d’être soulagés par l’extérieur et d’arrêter de nous montrer exigeants. Nous devenons solidaires. De nous-mêmes, du destin des autres êtres humains proches ou lointains, mais aussi du milieu naturel qui est le nôtre. Nous apprenons à nous mettre au diapason de tout ce qui vit parce que nous sommes reliés à la vie en nous. Alors, certains comportements s’imposent d’eux-mêmes.
Plus d’informations sur Marie Romanens sur son site personnel.
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Tellement bien dit!! Tellement dans le sens de la pensée d’André Rochais, également. Dans une note d’observation reçue lors d’une session concernant les groupes, si mon souvenir est bon… il parlait des rapports de force et de la nécessaire unification à l’intérieur de soi pour se vivre autrement en rapport aux autres. Préserver la planète, ça fait partie de penser aux autres… J’adhère tellement loin en moi… Continuons cette longue marche sous-terraine de transformation et semons…. C’est mon plus grand espoir!
Pollution extérieure! Il est difficile de résister à la publicité qui nous exhorte à « jeter ce qu’on avait la veille dès qu’il existe plus nouveau », résister aux réactions de proches étonnés de notre consommation basée sur nos besoins et non sur nos désirs…
Notre économie a besoin de consommateurs …alors où est le bon équilibre ?
Cette société avec la mondialisation est bien difficile à comprendre.
Le lien social se perd au profit d’une course aux désirs matériels à assouvir .Aussi c’est un combat de chaque jour pour vivre unifié avec moi même et solidaire des autres tout en acceptant la marche infernale du » progrès. ?.Et l’ESSENTIEL où est-il?
Sujet de réflexion ardu…
Françoise
Merci, Françoise, pour votre commentaire. Je vous rejoins sur le fait qu’il est difficile de ne pas être « pollué » par la publicité. Pour ma part, j’essaie de ne pas me laisser envahir, en écoutant très peu la télévision, en choisissant des radios avec un minimum de publicité, et en prenant soin d’avoir des espaces de silence dans ma vie, pour me retrouver, sans sollicitation extérieure non choisie.
Pour ce qui concerne votre question sur le bon équilibre entre consommer ou pas, il me semble que c’est une affaire de conscience personnelle. Les choix peuvent être différents selon les personnes, et je ne saurais édicter des règles générales sur le sujet. Il me semble que, plus on est au clair avec les grandes priorités de sa vie, plus on devient capable de prendre des décisions conscientes, qui ont du sens, dans le cours de son existence. Pour donner quelques exemples personnels :
– Je suis peu sensible aux marques vestimentaires, mais il nous est arrivé de choisir des vêtements ou objets à la mode pour nos enfants, parce que c’était très important pour eux à ce moment-là, pour leur socialisation à l’école. Tout en réprouvant ces effets de mode, nous avons senti qu’il aurait été trop difficile et excluant pour eux de ne pas céder, à certains moments, à ces phénomènes de groupe.
– Il m’arrive bien sûr de consommer des produits modernes, « high tech », parce qu’ils apportent de vrais avantages pratiques pour mon travail, ma vie quotidienne et relationnelle. Seulement, je garde les mêmes objets longtemps, plus que ne me le dicteraient ma sensibilité et mon moi-je, qui adorent la nouveauté et les gadgets ! Ce qui fait contrepoids, ce sont mes valeurs de respect de la nature, et mes priorités dans la gestion de mon argent..
En conclusion, je vous rejoins sur le fait que l’essentiel est de vivre unifié avec soi, et solidaire des autres. Toutefois, je ne vois pas le progrès comme une marche infernale. Il me semble que les nouveautés ne sont pas mauvaises en elles-mêmes. Tout dépend l’usage qu’on en fait. Ainsi, internet est un magnifique outil de communication, d’enseignement, de partage du savoir. Et ce peut être une drogue pour certains, un moyen d’avilissement des êtres humains ou de contournement des lois pour d’autres. Où est l’essentiel ? Je crois qu’on trouve la réponse au fond de soi. Elle nous appartient, elle est spécifique à chacun. C’est pour cela que nous accordons beaucoup d’importance, à PRH, au travail sur l’être et la conscience profonde.
Merci, Régis , de vos éclairages …
Je voulais apporter une précision à ma pensée concernant ce que j’appelle la marche infernale du progrès:la technologie des nouveautés est tellement « pointue » que notre intelligence est dépassée par ses possibilités de compréhension de tous ces fonctionnements informatiques…il y a une non maîtrise de ce que l’on utilise , dans la compréhension…
Merci Régis et tous les formateurs PRH , pour tout ce travail sur l’ETRE et la conscience profonde que vous nous permettez de faire.
Françoise