Béatrice Sablonnière, formatrice agréée PRH est interviewée par Geneviève Descampiaux.
GD – Béatrice, tu es mère de famille avec quatre enfants-devenus adultes aujourd’hui- et je t’ai toujours connue avec cette recherche sur « la famille » sur ce qui aide à sa construction, à son évolution. C’est une réalité qui t’a beaucoup travaillée me semble-t-il ? Est-ce que tu as reproduit un modèle de famille qui t’aurait plu particulièrement?
BS – Non, ce n’est pas mon expérience. J’ai composé et recomposé aussi bien en termes de situations que de construction au quotidien.
Pour moi, il n’y a pas de familles modèles, pas d’exemples parfaits, pas de réalité correspondant aux images ou croyances qui peuvent être présentes en nous plus ou moins consciemment.
Toute famille se construit et se reconstruit au fil des jours. Cela ne concerne pas uniquement les situations mais aussi le vécu personnel et relationnel de ce “nous” ensemble qui constitue une famille dès qu’il y a parent et enfant. Au-delà des multiples formes que prend la famille dans notre société d’aujourd’hui, je vois un certain nombre d’éléments constants propices à la construction et à la croissance d’une famille.
GD – Justement, à partir de ton observation, celle de ta famille et des parents que tu accompagnes, que vois-tu plus précisément comme éléments nécessaires à sa construction?
BS – D’abord, comme ingrédient principal, je dirais l’amour gratuit. Banal peut-être et pourtant ma propre expérience et l’écoute des parents que j’accompagne me disent combien cette qualité d’amour s’apprend et émerge peu à peu pourvu qu’on s’y intéresse. Il ne s’agit pas de n’importe quel type d’amour. Il s’agit d’un amour responsable, bienveillant, qui donne sans attente de retour. Un amour qui ouvre dans le cœur du parent un regard bienveillant, constructif et positif sur l’être de son enfant. Un amour inconditionnel qui voit loin et appelle plus loin. Un amour responsable, patient, confiant, qui croit en l’enfant au meilleur de son être en bourgeon.
GD – A la base, il y a des parents, parfois un, qu’est-ce qu’ils ont à développer en priorité pour que leur famille se crée?
BS – Au risque de me répéter, il s’agit encore de cette qualité d’amour gratuit, unique à chaque personne devenant parent, de chaque couple prêt à mettre un enfant au monde.
Cette capacité à aimer s’apprend et peut se développer pourvu qu’on y travaille. Elle est inscrite dans l’être de chaque être humain. Par exemple on peut voir, contrairement à certaines croyances, des couples se séparer et garder respect et estime pour le père ou la mère de leurs enfants communs.
GD – Qu’est-ce que cet amour inconditionnel va favoriser au niveau de la famille?
BS – Une telle qualité d’ amour gratuit va peu à peu imprégner les membres de la famille. Le ou les parents, en le vivant, donnent toutes les chances à l’enfant pour que ça s’éveille en lui. La famille peut alors être le premier lieu où l’on apprend à aimer. Il se crée alors une atmosphère relationnelle de respect et d’attention à chacun qui est contagieuse. Plus que l’apprentissage de formules de politesse, le tout petit va reproduire, par osmose, ce qu’il voit et sent vivre autour de lui. C’est l’élan chaleureux et spontané de l’adulte qui s’adresse à l’enfant en tant que personne qui va ouvrir le cœur du tout petit. C’est ainsi qu’un petit de 16 mois fait “au revoir” en ouvrant et fermant la main, discrètement, près de son corps, en quittant la crèche; ou qu’un autre de 5 ans va cueillir spontanément pâquerettes et boutons d’or pour sa Maman sans pour autant “répéter” les formules classiques qu’attendent les adultes…
GD – Oui, j’entends effectivement l’importance de ce climat d’amour inconditionnel mais vois-tu d’autres ingrédients propices à la construction et à la croissance d’une famille car enfin, même de qualité, l’amour ne suffit pas?
BS – Non, effectivement, l’amour ne suffit pas. Conjointement à l’émergence de cette qualité d’amour, est nécessaire ce que j’appellerais l’enracinement lucide dans la réalité du quotidien et l’acceptation du réel de ce que chacun y vit que ce soit heureux ou difficile, voire douloureux.
Ceci implique de “parler vrai » ; cela s’apprend et se pratique, souvent en balbutiant au départ. Mettre des mots justes sur les situations, les obstacles et difficultés rencontrées; prendre en compte les différences, les tensions, les conflits; se faire attentif aux centres d’intérêt de chacun, à ce qui est essentiel pour soi et pour l’autre.
Parler vrai, c’est aussi apprendre à se réjouir des bons moments, quand “ça va bien”, et se le dire; quand on est profondément heureux ensemble, quand on s’émerveille de l’un ou de l’autre…
GD – Oui, je crois que c’est important ce que tu soulignes, ce « parler vrai », c’est en quelque sorte le « ciment » du tissu relationnel familial. Mais peux-tu revenir sur ce que tu exprimais précédemment ; « l’acceptation du réel », que veux-tu dire au juste ?
BS – Se rendre au réel de ce qu’on ne peut pas changer donne l’énergie intérieure pour « avancer avec » plutôt que « lutter contre » en s’acceptant impuissant face à certaines situations, certains vécus.
Par exemple, voir des parents accepter le handicap de leur enfant, c’est à dire l’accueillir en toute sa personne avec son handicap, est pour moi une des plus grandes preuves d’amour gratuit. Cela produit des effets extrêmement positifs sur la croissance de l’enfant lui-même et de sa famille.
GD – Y a-t-il encore autre chose qui te paraît nécessaire pour faciliter la construction d’une famille?
BS – Oui, j’ajouterais 3 éléments:
– la nécessité d’être en relation de personne à personne au sein de la famille: entre adultes et de l’adulte à l’enfant. Il est important de voir que s’adresser à un enfant en tant que personne n’est pas la même chose que se parler entre adultes.
– L’importance de certains choix concernant la famille, que ce soit en termes de règles de vie ensemble ou de priorités pour le bien commun. Les valeurs sous tendant ces choix sont explicitées pour être comprises et partagées entre les membres de la famille. Choisir d’être une maison sans fumeur par exemple ou bien choisir de favoriser les transports à pied ou publics. Choisir et parfois réajuster ses choix au fur et à mesure de la croissance de chacun.
– La nécessité de croire que ce “nous” se construit, est unique, n’est pas défini à l’avance par la tradition, les conventions sociales, la répétition ou la contestation de modèles. Croire que grandir ensemble est possible, sans être prisonnier d’un idéal inaccessible, sans naïveté, sans déni de responsabilité. Croire que chaque groupe/famille a sa propre valeur infiniment respectable.
Pour conclure:
Oui, la famille est une réalité à la fois solide et évolutive, source de bonheur et de tensions, premier groupe de vie qui va marquer tout enfant pour sa vie future.
Alors conscients de cela, travaillons à composer et recomposer nos symphonies familiales.
Une bien jolie recette, avec des ingrédients nécessaires et indispensables à équilibrer entre eux, et à cuisiner avec amour…
Merci pour ces pistes de réflexion!
Ça sonne juste… Tellement merci! 🙂
Comme c’est vrai et j’aime la musique de ce texte en plus; l’amour se sent pour les familles…A l’heure où bien des familles vont être en vacances ensemble…..avec l’envie de passer du temps de qualité, c’est bienvenu!
Valérie B.