Comment rendre compte d’une expérience où le « faire » s’efface totalement pour laisser place à une simple présence ? C’est pourtant celle que j’ai vécu en tant que visiteuse de malades. L’analyse d’une de ces expériences m’a permis de poser quelques mots et de tenter d’exprimer le précieux d’une situation pourtant si simple.
Chacune de mes visites à l’hôpital est une aventure inédite. Ô, rien d’extraordinaire. Au contraire, c’est une aventure plutôt ordinaire de nous rencontrer là, dans cette chambre d’hôpital.
Je choisis de franchir le seuil de cette porte et voici qu’une rencontre est possible entre nos 2 vies (la longue vie de cette personne avec toute sa richesse, sa pauvreté, ses joies, ses drames parfois. Et ma propre vie, mon histoire, mes combats). En m’approchant de cette personne unique, j’ai le sentiment de rejoindre la terre profonde de notre humanité commune, là où est logée, enfouie, la source de nos vies. C’est là, en ce lieu toujours jeune, toujours neuf, que je viens rencontrer, avec ou sans mots, cette femme très âgée que je ne connais pas. Je viens me faire témoin de cette source précieuse en elle et de la beauté de sa longue vie.
J’entre dans la chambre silencieuse où est alitée Suzanne, c’est son nom. Elle souffre, gémit, ne réagit pas à ma présentation. Elle laisse échapper ces quelques mots : « Je suis mal vous savez ». Je comprends qu’elle n’a la force de rien. Alors je lui propose de demeurer un petit moment à ses côtés, dans le silence. Je suis là, toute proche d’elle, silencieuse, et c’est le vide en moi. Je ne pense à rien, je cherche en vain à murmurer quelques mots, une prière ? Je ne connais rien de cette femme, je reste là, totalement démunie. J’observe que Suzanne s’apaise un peu. Sa respiration est plus fluide, régulière, les traits de son visage se détendent. Ma simple présence semble opérer son effet. Désœuvrée, je choisis de me faire attentive à sa vie à elle, sa vie comme reliée à la mienne en cet instant, toujours dans un profond silence. Peu à peu, le vide en moi fait place à une indicible douceur. Je me laisse baigner dans cette sensation de douceur qui prend de la densité en mon être. Sans l’avoir recherché, sans avoir rien voulu, voici que cette sensation de douceur en moi se meut en une présence délicate, une présence de l’une à l’autre, comme une douce circulation de vie, un parfum d’humanité, l’éclosion d’un amour pour Suzanne dont je ne sais rien. Et je me laisse traverser par cet amour qui me dépasse, surgit de nos présences à toutes les deux.
Au bout d’un moment, je me penche vers son visage et lui souffle : « Suzanne, je vais partir ». Alors elle se redresse avec vigueur, me regarde dans les yeux comme si ma présence était une évidence pour elle et me dit : « Merci ! Merci d’avoir été là ! ». Je sors doucement de la chambre, je traverse les couloirs, quitte l’hôpital, me dirige vers ma vie et son quotidien. Mon cœur est désormais habité de son existence à elle, vivifié par notre rencontre silencieuse, traversé d’un amour et d’une joie profonde, joie de nos liens d’humanité, plus forts que tout.
Charlotte Ghestem, Formatrice agréée PRH
Pour progresser dans l’analyse PRH
Etonnante cette rencontre avec Suzanne. Etonnante présence à elle, à toi, au mystère de la relation. Merci, Charlotte, de cette belle analyse de ton expérience d’ouverture à l’inattendu.
Magnifique témoignage Charlotte. Mais combien de temps as-tu travaillé sur toi (combien d’années ?) pour parvenir à proposer cette présence douce, paisible et simple ?
La simplicité n’est ni un don ni une grâce. C’est une conquête, un grand travail sur soi. Merci Charlotte.
La simplicité est un don et une grâce quoi qu’on en dise.
Merci Charlotte pour ce beau témoignage. Quelques fois, face à certaines situations, on peut se sentir démuni. Pourtant, être là, juste là, mais profondément et entièrement là a toute son importance et il n’en faut pas plus ni autrement.
Nous rendre présent au présent… et oser y demeurer simplement… oser croire qu’une présence qui nous dépasse infiniment est à l’oeuvre au delà de nous même…
Merci Charlotte pour ce beau témoignage plein d’audace
Merci. C’est beau et reposant.
Merci beaucoup pour ce partage plein de douceur et de simplicité, Charlotte !
Merci de nous partager les fruits de cette relation.
J’y vois de la richesse, de la compassion et de la profondeur…
Merci Charlotte
C’est beau, bon, chaud et nourrissant.
Je me sens présente à la vie. Merci.
Une présence vivifiante dans une rencontre silencieuse
Une présence traversée par un amour et une joie profonde
Une présence comme une douce circulation de vie, un parfum d’humanité
Je reçois ces mots profondément en moi.
Merci Charlotte de nous les partager ici
Merci Charlotte de ton partage qui m’invite à me dire que je peux contribuer aussi dans ce que j’appelle mon « rien faire » à ce blog.
Ne rien faire est faire présence!
Ne rien faire et faire présence.
Merci Charlotte d’exprimer avec tes mots ce que j’ai pu vivre tant de fois !
De l’interview, lu hier, d’une dame aumonier d’hôpital, j’avais retenu que l’essentiel est « d’être là ». Et justement, tu reprends la même expression : « je suis là », en décrivant de belle façon ta visite qui se termine par le « Merci d’avoir été là » de la malade.
Merci Charlotte d’avoir mis des mots sur ton expérience et de partager.
C’est tellement simple, d’une grande délicatesse, gratuité, beauté !
Ce beau témoignage me fait penser à un livre, qu’un papa endeuillé d’un jeune fils a retrouvé au bon moment, et m’a partagé. C’est une histoire pour enfants, qui en dit beaucoup plus aux adultes sur notre présence à l’autre, présence sans chercher toujours les mots justes ou les conseils avisés !
Je vous recommande donc ce livre : « Et le lapin m’a écouté » de Cori DOERRFELD
https://www.gallimard-jeunesse.fr/9782075128452/et-le-lapin-m-a-ecoute.html