L’intelligence émotionnelle n’est pas innée

Rencontre avec Isabelle Filliozat

Pourquoi faudrait-il «travailler» quelque chose d’aussi naturel que nos émotions ? Pour qu’elles nous aident à vivre, au lieu de nous entraver. Isabelle Filliozat* en est convaincue : la «Grammaire relationnelle» s’apprend.

 De nombreuses personnes ont appris à refouler leurs émotions, pourquoi ?

 Isabelle Filliozat : Il y a une énorme répression des émotions, car elles permettent une individuation, de sentir qui on est. Or, depuis toujours, les anciens préfèrent être obéis. Il faut avoir été suffisamment accompagné enfant pour ne pas les avoir refoulées. Pour la majorité d’entre nous, il y a tout un travail de ré-apprivoisement à mener. Avant de les décoder, il faut déjà apprendre à ressentir ses émotions. Elles se manifestent volontiers sous forme de sensations physiques (tension dans le corps, mal de tête ou de ventre, cœur qui bat…), mais on n’identifie pas toujours que ces signes sont l’expression d’une émotion. Ensuite, il faut prendre le temps d’observer ce que c’est : de la peur ? de la colère ?, etc.

Ce n’est pas si facile car, souvent, il s’agit d’un mélange entre plusieurs émotions : à la fois «j’ai peur et je suis en colère». Or, il convient d’identifier très précisément : j’ai peur de telle chose et je suis en colère pour telle cause. Si l’on se sent très confus, écrire peut aider au départ. Le fait de sortir les choses de soi, plutôt que de les garder dans sa tête, permet de les regarder plus objectivement.

 Existe-t-il de «bonnes» et de «mauvaises» émotions ?

 I. Filliozat : En soi non, mais elles peuvent être appropriées ou non, selon le contexte. Si un collègue commet une injustice envers moi et que j’ai peur au lieu d’être triste ou en colère, ce n’est pas la bonne émotion. C’est pourquoi, après l’avoir nommée, il est important de repérer le déclencheur. «Quelle pensée à l’intérieur de moi a déclenché l’émotion ? C’est quand il m’a dit ça». «Qu’est-ce que j’ai ressenti quand ce chauffard m’a doublé ? Une telle rage est-elle appropriée ou bien excessive ?»

 Et si elle n’est pas appropriée ?

 I.Filliozat : Alors, mon émotion ne me permettra pas de gérer la situation. C’est sans doute un souvenir de mon enfance, durant laquelle j’ai appris, par exemple, à pleurer au lieu d’exprimer ma colère. De même que quand la maman crie sur l’enfant qui traverse imprudemment, c’est de la peur et non de la colère.

 Quand elle est juste, une émotion nous est utile ?

 I. Filliozat : A condition qu’elle ne soit pas exagérée. Si c’est la bonne émotion à la bonne dose, je l’exprime. Sinon -soit environ 90% des cas- il est périlleux de la laisser paraître telle quelle, mais elle va au moins nous permettre de nous connaître mieux. Encore faut-il identifier la cause de cette réaction déplacée ou disproportionnée : «Ça vient d’où ? Quelle situation d’enfance m’a appris à réagir comme ça ?». Le seul fait de trouver la réponse pacifie énormément. Si la blessure n’est pas trop importante, l’émotion s’arrête instantanément.

Si elle est trop importante, il vaut mieux se faire aider par un professionnel.

Pourtant, la plupart des gens demeurent tellement démunis face à leurs émotions…

 I. Filliozat : Parce qu’on pense qu’il n’y a rien à apprendre. Mais l’intelligence émotionnelle et relationnelle n’est pas «naturelle». Il y a des lois, des règles, des manières de se parler à soi et aux autres qui devraient être enseignées. C’est d’ailleurs au programme officiel de la maternelle, mais pour l’appliquer, il faudrait que les enseignants soient formés à ce sujet. Pourtant, connaître mieux le fonctionnement de notre psychisme nous permettrait non seulement de vivre mieux avec nous-mêmes, mais aussi avec les autres. C’est pourquoi il me semble utile de suivre un stage pour apprendre les bases de la «grammaire émotionnelle», notamment lorsqu’on se sent en proie à des réactions exagérées. Au début, il faut faire des efforts, mais rapidement, ça devient un réflexe. Et lorsqu’on sait décoder ses émotions, on devient moins manipulable et moins manipulant, car on ne se sent plus impuissant.

Propos recueillis par Marie-Christine Colinon

*Isabelle Filliozat, psychologue et psychothérapeute, est fille d’une psychanalyste et d’un psychologue. Après avoir étudié l’analyse transactionnelle et le travail Reichien (Radix), elle a mêlé les deux et enseigné au Cnam (Conservatoire national des arts et métiers) en gestion de l’émotivité. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels : Je t’en veux, je t’aime, éd. Lattès, nov. 2003, Trouver son propre chemin, guérir son enfant intérieur, éd. Press Pocket (livres d’exercices), Que se passe-t-il en moi ? et L’intelligence du cœur, éd. Marabout.

Extrait de la lettre PRH n° 27 « décoder ses émotions »

Des stages qui peuvent nous aider :

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