« Décider consciemment et librement est-ce possible ? »

Le parcours d’Henry Quinson est pour le moins atypique : d’abord trader, il quitte le monde de la finance pour passer cinq ans dans le monastère de Tamié, en Savoie, puis fonde à Marseille une communauté engagée dans l’accompagnement scolaire des jeunes. Auteur et traducteur de plusieurs ouvrages sur Tibhirine et le dialogue interreligieux, il a été conseiller monastique du film de Xavier Beauvois, « Des hommes et des dieux ». Une expérience qu’il relate dans un livre, «Secret des hommes, secret des dieux », qui traite grandement de la question des choix.

 Dans votre parcours personnel comme dans l’aventure de ce tournage, vous semblez avoir répondu à des « cas de conscience »…

 « Bien sûr ! La prise de conscience est au cœur des décisions : un événement frappant éveille votre conscience et vous oblige à réfléchir différemment. Ce questionnement vous amène à choisir entre différentes aspirations. Quitte à vous positionner en rupture par rapport à l’ordre établi, pour vous engager sur une idée personnelle forte. Enfin, les circonstances vous imposent d’oser passer à l’acte. Gandhi, Martin Luther King, les moines de Tibhirine… mais aussi les auteurs de ce film en sont des exemples. En ce qui me concerne, j’ai un jour réalisé que gagner des millions était moins important que d’établir une relation de qualité avec les autres. »

Mais comment savoir si l’on fait les bons choix ?

 « En écoutant ! Xavier Beauvois me disait « il faut écouter son film ». La règle de Saint Benoit commence par « écoute, mon fils ». C’est cela, être attentif. Il faut savoir vers quoi on tourne son attention. C’est difficile, mais cela permet d’asseoir ses décisions sur ce qui nous habite profondément, et non sur des envies superficielles ou des peurs inavouées. Dans le film, cela nous a conduit à faire des choix narratifs ou artistiques très précis, pour privilégier l’âme du film plutôt que son exactitude documentaire. »

Ce film est le fruit de nombreuses rencontres étonnantes. Avez-vous été, comme vous l’écrivez, « bien servis par le hasard » ?

 « Ce qu’on appelle hasard est une curieuse alchimie… Je ne crois pas que tout soit écrit d’avance ! Nous sommes portés par des désirs, des talents, des rêves. Et cela s’articule avec des rencontres. En mettant vos pas dans une certaine direction, vous rencontrez des gens qui vont dans le même sens, et cela alimente une dynamique. Participer au film était une décision personnelle, mais ensuite se sont greffées des choses qui me dépassaient. »

Vous avez pourtant pris des risques, rencontré des oppositions.

 « Oui, à un moment donné de nombreuses personnes s’opposaient au projet. Or en faisant ce film j’avais beaucoup à perdre dans mes relations avec les familles des moines ou avec l’Eglise. Pourtant cette décision s’imposait. Cela peut paraître irrationnel. Il y a dans nos choix profonds quelque chose de l’ordre de la transcendance. C’est un moteur inexplicable, qui déroute beaucoup ceux qui vivent dans le contrôle, le conformisme. C’est une part de liberté personnelle, une aspiration à être qui échappe à tous les dictats. »

Cette notion de liberté est fondamentale ?

 « C’est l’enjeu même du discernement ! Le processus de discernement nous montre que l’homme est un être libre. Dans le développement humain, la loi est indispensable. Mais l’obéissance non réfléchie est infantilisante. C’est pourquoi le discernement est aussi important : il permet de développer un autre rapport à l’autorité, de s’affranchir de la notion de règle universelle pour prendre des décisions particulières. Même si c’est inconfortable : certains préfèrent rester esclaves dans le confort plutôt que vivre libres dans un environnement où il faut prendre des risques. »

Est-ce toujours difficile ?

 « Ce n’est pas le critère ! Sur le tournage, un jeune technicien m’a dit en parlant des moines : « ils ont le choix entre ce qui est juste et ce qui est facile ». Mais ce qui est juste n’est pas forcément difficile, c’est ce qui répond de façon positive au cas de conscience. Du reste, de telles décisions comportent une forme de légèreté, même dans les cas les plus douloureux. Il y a une sorte d’acceptation qui aboutit à une plénitude, une paix probablement difficile à appréhender car elle nous entraine au-delà des décisions apparemment rationnelles et maîtrisées. »

Propos recueillis par Christophe de Bourmont

A propos d’Henry Quinson :

« Secret des hommes, secret des dieux »,éd. Presses de la Renaissance

« Moine des cités », éd. La Nouvelle Cité

Site officiel : henry.quinson.pagesperso-orange.fr

 

 Extrait de la lettre PRH n° 41

Pour vous aider :

Un stage « entrainement à la prise de décision »

un livre PRH :  « savoir décider, un atout gagnant »

 

4 commentaires sur « « Décider consciemment et librement est-ce possible ? » »

  1. Mon parcours contre l’alcool ressemble à un combat contre l’impossible et pourtant on y arrive. Brigitte. Merci.

  2. Je me trouve en parfaite résonance avec les propos de Henry Quinson. La liberté, la légèreté que donne une prise de décision juste. Légèreté; ce mot ne m’était jamais venu, mais il sonne juste dans les expériences que j’ai vécues. « Un moment, la décision s’impose » dit-il. Cela aussi rejoint mon expérience qui me faisait dire: je ne peux pas faire autrement, c’est ça. Quelle paix alors! elle n’enlève en rien les difficultés qui surgiront peut-être, mais quelle énergie en moi pour aller dans cette direction qui est la bonne.

  3. Comme semble le dire Brigitte, il est des choix qui sont des combats: dire NON à l’alcool c’est dire OUI à ma Vie qui m’appelle des tréfonds pour une libération porteuse de liberté et de légèreté, en effet!
    Les moines de Thiberine ont choisi de dire non à ceux qui voulez les faire partir et ont pu dire oui à l’appel de leur voix intérieure, vocation à la fidélité de leur engagement, fidélité à leur Vie, au-delà et par delà le risque mortel….
    Alors quel serait le critère de la “bonne” décision?
    Sinon celui qui nous laisse en Paix, en accord avec notre conscience profonde, non pas avec les “il faut” ni les “il faudrait” mais juste avec le “qu’est-il bon pour moi”
    que je choisisse aujourd’hui, avec mes forces et mes limites d’aujourd’hui?
    Ma Vie à sa Source où m’appele-t-elle?

  4. MERCI. NICOLE DE TES ENCOURAGEMENTS. JE SUIS FIERE DE MON PARCOURS QUI EST LOIN D ‘ETRE FINI. jE T EMBRASSE FORT. bRIGITTE

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