Si loin, si proches

Récit de voyage

Nous voyageons en famille et sommes assis dans un train qui circule de Pondichéry à Madurai, dans le Tamil Nadu, une des provinces du sud de L’Inde.

Nous avons choisi la 2ème classe, les ventilateurs tournent à plein régime et nous roulons avec les fenêtres et les portes ouvertes. Les banquettes sont étroites, il y a à peine de la place pour 3. La dame à côté de moi ne parle aucune langue que je pourrais comprendre. Elle a eu la délicatesse de se déplacer du coin fenêtre où elle était assise (une place de choix) pour s’installer au milieu, entre un homme qui doit être son mari, et moi. En Inde, il n’est pas confortable pour une femme d’être assise à côté d’un homme.

Je l’observe. Elle est âgée, vêtue d’un sari, ses cheveux sont lissés, huilés, elle a mis des fleurs de jasmin dans sa coiffure, elle porte des bijoux aux bras, aux pieds, au nez, aux oreilles. Si je le regarde à partir de mes codes et de mes références, je pourrais la trouver bizarre de voyager avec autant de bijoux par une chaleur pareille, alors que par ailleurs elle semble bien modeste avec son cabas à provisions. Si je la regarde avec un autre regard, d’humaine à humaine, je me sens proche d’elle. Par notre condition féminine et cette délicatesse partagée qui me fait aussi m’asseoir en lisière de banquette pour qu’elle ne soit pas comprimée. Nous aurons 5 heures de train à partager, côte à côte.

Elle ne lit pas. Sait – elle lire ? Elle est calme, patiente, elle contemple le paysage, et sa contemplation rejoint la mienne. Nous regardons les différentes gammes de vert ou de couleurs de terre selon que nous traversons des zones de rizières irriguées ou des zones arides. De temps en temps, un attelage, des enfants qui se baignent dans une mare et s’éclaboussent en riant, une carriole chargée de noix de coco, une vache efflanquée qui somnole, une personne qui fait sa lessive. Sur les quais, des vendeurs de beignets épicés et de riz. Dans le wagon, un vendeur de thé passe de temps en temps avec sa petite citerne. Elle nous regarde aussi, nous quatre Européens , et semble s’étonner de notre attirail : les bouquins, le cahier où je prends des notes, un appareil photo, les écrans et les écouteurs sur les oreilles de nos jeunes…

Oui, le temps de ce voyage, je me suis sentie proche, sans paroles, dans la patience, dans le temps qui passe et devant nos différences constatées. Nous nous sommes saluées d’un signe de tête, au moment du départ.

Anne TRICAULT, formatrice agréée PRH

7 commentaires sur « Si loin, si proches »

  1. Comme il est émouvant ce silence de cinq heures de voyage conclu par un simple signe de tête ! Les différences entre voyageurs n’avaient pas supprimé la conscience d’appartenir à la même famille. Se le signifier c’est comme chanter la joie très intime d’avoir une fratrie en humanité. Merci, Anne, pour ce beau « clin d’oeil ».

  2. Je « sens » le jasmin des fleurs. c’est la force d’un récit. Merci

    J’ai fait ce voyage, j’avais 17 ans, cinq jours après l’assassinat de Rajiv Gandhi. C’était un mois de Mai, il faisait très chaud. Je me souviens de ce voyage où il fallait être bien habillé si on voulait une place assise et ce n’était pas mon cas. J’avais mon billet mais ce n’était pas suffisant. il y a tout un code de respect derrière nos vêtements. Des souvenirs …

  3. Merci Anne de nous faire voyager, côtoyer ces personnes si différentes et si proches. Immédiatement je me suis sentie replongée dans mes « impressions » de voyage, comme un doux parfum exotique, une contemplation, une présence.

    1. Le blog PRH est comme une rivière pleine de pépites sur laquelle une pierre jetée fait des ricochets, semant des ondes.
      Aujourd’hui Anne, tu as lancé une pierre ronde et plate, sans aspérités, pleine du silence partagé où j’entends la petite musique de l’humanité.
      Quelqu’un, une autre Anne dont le cœur d’enfant aime sans doute encore faire des ricochets, entend la petite musique et elle relance la pierre qui fait de nouveaux ricochets, enrichissant les premières ondes au passage.
      Je ne vais pas garder cette petite pierre plate et ronde. Je m’empresse de la relancer après Paulraj et Nadine qui eux aussi ont entendu la petite musique. Ce qui est beau, c’est qu’elle a un son unique pour chacun…
      Merci Anne de t’être laissée nous conter ton voyage et merci PRH pour la création de ce blog.

  4. Merci Anne pour cette belle page de ton voyage en Inde qui me dit la force de ce que je vis intérieurement;ce qui m’anime se dégage de moi et point n’est besoin nécessairement de parole pour signifier à l’autre mon estime, mon empathie pour qui il est.

  5. Ce qui me touche le plus, chère Anne, c’est la photo de toi avec cette femme: c’est ton sourire qui dit cette proximité de cœur, cette fraternité vécue dans tant de simplicité et de silence habité. Ton corps lui-même est dans l’Ouvert, le calme, la douceur de ton « être-là », juste être là « avec », par delà les codes, la langue, la culture….et la chaleur bien perceptible!
    Comme si celui qui prend la photo avait su saisir, au-delà des apparences la re-lation si vibrante, si paisible, tissée tout naturellement entre toi et cette femme inconnue, elle aussi présente et reliée…..il y a entre vous deux comme un abandon mutuel qui invite au don, qui est ….don.
    Nicole Langlois-Meurinne

  6. Je suis né avec le goût du voyage et l’étranger me nourrit. C’est ainsi, je dois faire avec, m’arranger avec ce destin : nier et sombre dans une sourde nostalgie ou me mettre en conformité avec cette exigence intérieure et respirer.

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