« Admettre le droit d’être fragile »

Rencontre avec Bernard Ugeux

bernard-ugeuxAnthropologue et théologien, le Père Bernard Ugeux se consacre depuis de nombreuses années à l’analyse des fragilités et à l’accompagnement spirituel des personnes, notamment en Afrique. Dans son livre « La fragilité : richesse ou faiblesse ? », il explique comment, dans une société marquée par l’idée de performance et de réussite, la fragilité reste une composante essentielle de la nature humaine, et comment un accompagnement efficace peut aider à y faire face.

D’où viennent nos fragilités ?

L’expérience de la fragilité est constitutive de l’expérience humaine. Nous commençons fragiles, comme bébé, comme petit enfant, nous sommes d’abord pris en charge avant d’apprendre l’autonomie. Il y a aussi tout ce qui est de l’ordre de l’héritage, génétique, éducatif, familial… et toutes les blessures de la vie. Cette expérience première, l’adolescent tente de la rejeter, puis l’adulte, pour s’intégrer à la société, essaie d’être très solide.

Cela veut-il dire que la solidité apparente est une nécessité dans le monde d’aujourd’hui ?

Certainement, les sociétés occidentales exigent des héros, des gens qui aient “zéro défaut”, on nous parle continuellement d’excellence, c’est la loi du plus fort, d’un point de vue économique, intellectuel… Quand on est fragile, on est éventuellement un peu dorloté mais on aura rarement droit à un poste de responsabilité, malgré toutes les batailles qui sont menées.

La sanction est, toujours, une forme de mise à l’écart ?

Oui, quand on est fragilisé, très vite on risque de perdre sa place dans la société. La dépression peut être un moment important de construction de soi-même, mais ensuite on conserve parfois cette étiquette “dépressif”, toute sa vie. La difficulté est donc d’admettre qu’on a le droit, à certains moments, de vivre un passage de fragilisation

Comment traverser ces moments ?

Il faut d’abord reconnaître sa fragilité. Ce n’est pas facile pour une personne de reconnaître « actuellement je suis fragile, dépressif, moins efficace… ». Ensuite, ne pas s’en culpabiliser, ne pas essayer d’en sortir tout seul mais se donner le droit de se faire aider, au plan spirituel, humain, psychologique, pour se reconstruire ou se raffermir. Cela demande du courage.

Quand on est fragilisé, surtout sur le plan psychique, c’est un gros effort de se dire « il faut que j’y aille » ! La peur que l’on a toujours, c’est d’être rejeté. La grande difficulté, c’est le regard des autres. Affronter le regard des autres, c’est prendre le risque de perdre l’image que l’on donnait de soi. C’est en ce sens qu’une crise de l’identité personnelle est aussi une crise de l’image.

La méthode incontournable, c’est le travail sur soi ?

Oui, car une personne ne peut être aidée, et s’aider elle-même, que si elle fait le point sur l’histoire de sa propre vie, les épisodes qui ont pu faire apparaître des fragilités… Il y a un travail de relecture, d’anamnèse comme disent les psychologues ou les chrétiens. Re-parcourir mon histoire pour arriver à repérer ma fragilité, à la replacer dans mon parcours, cela me permettra ensuite de voir dans quel sens me reconstruire, tout en sachant qu’il restera toujours des zones d’ombre…

Cela nécessite un accompagnateur compétent ?

Le bon accompagnateur est celui qui sait entrer dans une relation de « miroir » sans jugement, afin d’écouter la personne et de lui renvoyer un certain nombre d’éléments. L’important est d’avoir un regard distancié sur son histoire, pouvoir exprimer, en confiance sous le regard bienveillant de quelqu’un, les blessures, les échecs, les hontes, etc. qu’on a traversés, afin de s’en libérer ou de les intégrer.

Pourquoi parlez-vous de “traverser” nos fragilités, et non pas “surmonter” ?

Parce qu’en disant « surmonter » ou “vaincre”, on sous-entend qu’une page est définitivement tournée, qu’après l’épreuve on est revenu à la case départ, on a fermé la parenthèse. Quand on parle de “traverser”, on pense d’abord à la durée, et c’est très important. La traversée renvoie aux grandes étendues comme le désert ou la mer : une fois de l’autre côté, on conserve des traces, des cicatrices. On en ressort peut-être plus fort, plus sage, vivant malgré tout, mais autre. Cette traversée débouche souvent sur une nouvelle fécondité : la capacité de mieux comprendre et accueillir les fragilités des autres.

Propos recueillis par Christophe de Bourmont

extrait de la lettre PRH n° 37 « Venir à bout de nos fragilités ? »

3 commentaires sur « « Admettre le droit d’être fragile » »

  1. Grand merci d’avoir mis le lien pour cette lettre PRH.
    Je viens de la relire et elle me donne lumières et espérance renouvelée.

  2. Ce texte « admettre le droit d’être fragile »me touche profondément.Je l’ai lu,relu plusieurs fois et son retentissement en moi est tel que je choisis de l’explorer.
    Mes fragilités…!J’ai beaucoup travaillé sur elles dans un accompagnement personnel avec une formatrice PRH à laquelle je voue une profonde reconnaissance pour son aide bienveillante et pour le chemin qu’elle m’ouvert.
    Où en suis-je avec elles,plusieurs années plus tard?Ce beau texte me donne le goût de les regarder à nouveau,de faire le point,et de revenir à ce conte que j’avais écrit grâce à elles …et qui n’est pas terminé!
    Merci,Bernard Ugeux!Merci PRH!
    Roseline Dieudonné

  3. Je me retrouve bien dans cette rencontre avec Bernard Ugueux. Effectivement, dans les moments de grande fragilité, j’ai beaucoup souffert d’une une « mise à l’écart », simplement parce que je ne pouvais plus « suivre » et que je n’étais pas du tout comme les autres de mon entourage.J’ai appris avec le temps à mieux accepter ma vie telle qu »elle est;j’essaie d’apprendre à aimer ma vie, sans me comparer aux autres, sans toujours vivre au conditionnel: « si seulement… » PRH reste encore pour moi un outil important qui m’aide par le biais de l’écriture et grâce aux échanges avec une amie formatrice.Petit à petit, ma fragilité (santé, histoire personnelle, mari malade etc) devient une force parce que je sens que j’évolue dans ma manière de gérer les difficultés, même si les problèmes sont loin d’être résolus!

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