Le printemps, et tout à coup…

Aida, roumaine, vit un amour indéfectible et lucide pour son pays qu’elle n’a jamais voulu délaisser malgré les opportunités. Née en 1963 à Bucarest, elle avait 26 ans lorsque son pays est sorti de plus de 40 années de confinement sous la dictature.

A 23 ans, le 26 avril 1986, elle est au bord de la Mer Noire lorsqu’elle apprend la catastrophe nucléaire de Tchernobyl qui aura un impact d’une rare violence sur toute l’Europe de l’Est. La situation de pandémie qui frappe notre monde aujourd’hui a réveillé en elle des sensations, une expérience liée à son histoire. Elle nous les partage, en français, avec ses mots à elle, partage d’une résonnance en son pays, au milieu des siens.

Je connais Aida depuis 30 ans. Dès l’ouverture des frontières, l’été 1990, une profonde amitié fraternelle s’est tissée entre nous et s’est renforcée au fil des années. En affinité avec la démarche PRH, Aida a choisi de vivre plusieurs stages en France. Son cheminement l’a conduite à se réorienter professionnellement pour pouvoir vivre enfin son agir essentiel de toujours : Accompagner les personnes dans les épreuves qu’elles traversent. Devenue psychologue, elle accompagne aujourd’hui des personnes malades dans un service d’oncologie à Bucarest. Elle nous livre son témoignage.

Charlotte Ghestem, Formatrice agréée PRH

« Tout à coup, notre vie a changé. Comme un scalpel fin qui sépare ce qui était de ce qui va arriver. Et cela semblait remuer en moi des sentiments et des expériences que je croyais enfouis dans la mémoire des souvenirs dont notre vie est formée. Mes pensées se sont tournées vers cette période de ma vie où mon pays était confiné, avec l’interdiction de passer les frontières et de s’exprimer librement, dans une peur qui pesait lourd sur nous… Dans ce que nous vivons aujourd’hui, il y a beaucoup de choses qui sont similaires même si cela peut sembler étrange. Nous qui avons vécu cette période de dictature, cela nous donne une psychologie spéciale, incompréhensible à ceux qui n’ont pas vécu cette expérience.

              Quand je suis partie le matin à l’hôpital, où je travaille comme psychologue, le printemps avait éclaté. Les arbres fleurissaient, il y avait du soleil et une odeur si spéciale. Toute la nature, et il semble que aussi nous revenions à la vie. Et soudain, j’ai découvert la nouvelle … le virus a commencé à tuer. Comme un oxymore…printemps mortel …. À ce moment, je me suis souvenu d’un jour depuis avril 1986, j’étais à la Mer Noire, c’était une journée magnifique et j’ai entendu les nouvelles de l’explosion de Tchernobyl. La même sensation, comme si 36 ans n’avaient pas passé … la nature revenait à la vie… mais la mort flottait sans être vue, sans être ressentie. Et pourtant, il y avait de nombreux mécanismes qui nous ont aidés à traverser cette épreuve de la dictature, des mécanismes que nous pensions oubliés, dépassés et qui je vois, avec étonnement, qu’ils s’activent également dans cette situation de traumatisme : solidarité, foi, espérance, humour. Dans toute épreuve, aussi difficile soit-elle, les aspects positifs apparaissent également. Nos qualités et nos ressources sont insoupçonnés ! Utilisons-les judicieusement. La dictature est terminée … le coronavirus passera, mais nous ne serons plus jamais comme avant, nous serons changés, nous serons plus forts. »  

           Aida, Bucarest mars 2020                                                                                      

7 commentaires sur « Le printemps, et tout à coup… »

  1. Oh merci Aida pour ce beau témoignage et à toi Charlotte de faire qu’il nous parvienne. Qui d’autres pays nous donnerait aussi un témoignage ? cela ouvre, m’ouvre à plus large et à d’autres épreuves qui ont été surmontées. Solidarité, foi, espérance, humour. Merci

  2. Oui nous pensons très fort à tous les pays touchés par cette pandémie. Ceux dont on parle et ceux dont on ne parle pas. Merci de ce témoignage plein d’espérance pour traverser ensemble ce cap tourmenté. Nous sommes tous responsables des gestes que nous posons.
    La foi et un peu d’humour nous permet d’alléger le couvercle de nos inquiétudes.

  3. « le coronavirus passera, mais nous ne serons plus jamais comme avant, nous serons changés, nous serons plus forts ». Merci pour ce témoignage qui inscrit notre histoire et l’histoire de notre temps dans notre chair. Cet article m’éveille à tous ces moments de mon histoire pour lesquels il y a eu un avant et un après, parfois avec beaucoup de douleur et de souffrance, mais qui m’ont beaucoup changée et qui m’ont et nous ont rendus plus forts. Nous ne perdons rien de nous, nous habitons notre aujourd’hui remplis de notre histoire et de tous ceux du passé qui nous ont changés. Rien ne se perd et la vie précieuse s’incrit en nous, nous change, nous pousse à inventer et nous rend plus forts.

  4. Merci pour ce témoignage fort, écho à d’autres moments tragiques.
    Je suis rejointe et encouragée à croire en la force de la Vie, la Vie en moi, la Vie en l’autre, la Vie qui se donne à voir dans nos élans de générosité. Je me sens reliée dans le temps à tous ceux qui ont su traverser le douloureux, en inventant avec la Vie de nouveaux chemins …

  5. Ce texte me parle beaucoup parce que j’ai connu la guerre (mondiale) 39-45 et ai visité la Pologne durant la période du communisme.
    Enfant, je croyais que cette vie en temps de guerre avec la présence des Allemands, les restrictions et les bombardements, était la vie normale. J’ai appris par la suite, qu’à l’échelon communal, l’occupant faisait la loi. Pour l’alimentation, il y avait le rationnement et le « marché noir ».
    En Pologne, les rues étaient tristes mais les femmes sortaient avec de belles toilettes. Les Polonais utilisaient aussi l’humour pour supporter leur condition pénible.
    Donc, dans cette épidémie, il n’y a pas de conflit entre nations, au contraire, l’Allemagne accueille nos malades. Il n’y a pas de problème d’approvisionnement en nourriture. Supportons le confinement. Tout passe.

  6. merci pour ce témoignage qui m’appelle à l’espérance et à mobiliser moi aussi mes ressources intérieures . Les vôtres réveillent et nourrissent les miennes .
    Je suis rejointe par l’expression « printemps mortel », c’est cela que je ressents: une éblouissante beauté et ds le même temps un poison mortel qui s’infiltre . Face à ce poison, une indéfectible armée d’ hommes et de femmes mobilisés , compétents ,engagés dans ce combat tout azimut pour faire gagner la vie.
    Retraitéé à la campagne , je me fais chaque matin solidaire de tous ceux et celles qui ,chaque matin,souvent désarmés , seront sur le pont de la vie .

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