Rencontre avec Pierre Beaulieu et Michel Bundock
« La relation incite à la générosité »
La relation est un formidable levier d’entraide et de motivation : c’est ce qu’illustre, depuis plus de 35 ans, un réseau québécois de chefs d’entreprises baptisé le Groupement, qui fait de l’échange d’expériences le meilleur moyen de progresser. Une vision à la fois simple, volontaire et positive, comme en témoignent les propos très pragmatiques du Vice-Président exécutif et du Directeur Général du Groupement.
Présentez-nous votre réseau ?
L’idée est née en 1974 : des chefs d’entreprises québécois ont réalisé que la meilleure façon de trouver des solutions à leurs problèmes, c’était de se rassembler pour échanger et prendre des décisions ensemble. Ils ont donc bâti un modèle d’échanges d’expériences, structurés en clubs thématiques. Les clubs rassemblent 8 à 10 chefs d’entreprises (nombre idéal pour obtenir une dynamique d’échange tout en conservant l’intimité nécessaire) autour d’une problématique commune. Ils se réunissent une fois par mois et sont animés par un accompagnateur spécialiste de l’accompagnement de groupe. Nous organisons aussi, en cas de besoin, des mises en contact direct, ou encore des petits groupes d’urgence… En clair, nous sommes des « fabricants de rencontre », notre mission est de faire circuler les expériences jour après jour, dans un échange constant et constructif. Notre raison d’être, et notre compétence centrale, c’est de faire vivre cet esprit d’entraide.
Pour vous, l’entraide est donc la base de la relation ?
Dans notre cas, oui, car la notion d’entraide est le fondement de notre modèle, dont le dénominateur commun est la détermination à progresser : tous les membres s’engagent à aider chaque personne dans le Groupement, au-delà des jugements personnels et des affinités.
Mais plus généralement, il y a toujours une recherche dans la relation : c’est la seule chose qui nous sorte de notre solitude. Nous entrons en relation pour trouver des réponses à une problématique, qu’elle soit d’ordre économique, affectif ou autre, car nous savons que des personnes qui partagent la même réalité, ou qui en possèdent déjà l’expérience, sont plus à même de nous écouter et de nous aider. Cela signifie aussi que la relation est plus riche, plus utile lorsqu’on partage un objectif commun. En ce sens, l’entraide est un levier universel…
Votre expérience vous a-t-elle permis d’observer un processus de la relation ?
Dans le cas de groupes restreints, comme nos clubs, il y a effectivement un schéma classique d’évolution. La première chose que les gens cherchent à faire c’est de se raconter : c’est une projection, un discours externe plus ou moins maitrisé, agité, intellectuel, voire artificiel. Dans un deuxième temps, ils apprennent à se confier. Il y a une vraie différence ! Lorsqu’on se confie, on change de ton et de niveau dans la relation. On ne fait plus juste que s’entendre, on s’écoute et on va même jusqu’à s’accueillir, ce qui est la forme d’écoute la plus profonde. Tout le travail de la relation, c’est de dépasser cette phase d’apprivoisement pour atteindre ce degré d’intimité où les gens se disent des choses vraies, avec respect, parviennent à s’entendre au-delà des impressions.
Mais cette dynamique d’échanges s’obtient rarement spontanément, comment faire pour encourager le dialogue ?
C’est avant tout une question de confiance ; il faut créer le climat adéquat, mettre en place des principes de rencontres qui favorisent la communication et l’intimité, et amènent progressivement à la confidence. Pour être fertile et durable, la relation demande un cadre structuré bien défini, une « règle du jeu » qui permette à chacun de se livrer en toute confiance. C’est pourquoi, par exemple, nos réunions de club s’effectuent en huis clos, avec des garanties de confidentialité, et sous le regard d’un accompagnateur neutre.
Dans la présentation du Groupent vous parlez de « 30 000 années d’expérience cumulées ». Suggérez-vous qu’à travers la relation nous accédons à la somme des expériences des personnes rencontrées ?
Absolument ! La vraie force de la relation de groupe, c’est de faire partager les expériences vécues. Une personne seule pourrait bien vous écouter, mais avec son propre filtre, ses propres schémas. Quand vous êtes avec huit personnes en face qui s’entendent ensemble, vous n’êtes pas dans le jugement. Cela va bien plus loin que de simples conseils, vous en ressortez avec de vraies solutions ! Or c’est bien le cumul des expériences de chacun qui génère cette créativité et permet d’arriver à déterminer le meilleur chemin à suivre.
Pour partager nos expériences, une certaine générosité parait indispensable… mais ne sommes-nous pas naturellement réticents à livrer nos « recettes » personnelles ?
On peut effectivement avoir cet a-priori, notamment au départ, et cela rejoint la notion de confiance. En réalité les personnes qui entrent en relation réalisent très vite que la qualité de ce qu’ils peuvent recevoir est directement liée à la qualité de leurs apports. On peut donc dire au contraire que c’est la relation qui incite à la générosité ; chacun à tout intérêt, pour qu’un échange profitable s’installe durablement, à fonder la relation sur des valeurs de partage et de confiance, quitte à élaborer pour cela un cadre formalisé.
Cette théorie peut d’ailleurs s’appliquer, au-delà du management, à bien d’autres domaines ! Car c’est l’un des grands mérites de la relation, que de nous amener à changer de logique, à passer du « seul on va plus vite », au « ensemble on va plus loin ».
Propos recueillis par Christophe de Bourmont dans
la lettre PRH n° 35
Fondé en 1974, le groupement des chefs d’entreprises du Québec rassemble aujourd’hui plus de 1800 chefs propriétaires et « aspirants chefs » de PME, répartis dans plus de 235 clubs, dans toutes les régions du Québec, au nouveau Brunswick, en Belgique, en France et en Suisse.
Pour en savoir plus : www.groupement.ca
C’est beau, intéressant, interpellant. Etre plus convaincue de cela de « 30 000 années d’expérience cumulées » ouvre, donne de largeur. Je me dis à ma « petite échelle », je dirai bien que c’est juste. Mais en être convaincue, le vivre en y croyant dans « mes » groupes apporterait un plus de vie au sens très large.
Merci pour cet article.