Laissez-nous vivre

Crédit photo B. Ugeux
Crédit photo B. Ugeux

En juillet 2012, Christine Isopet s’est  rendue à Bukavu, en République Démocratique du Congo, sur l’invitation de Bernard Ugeux.  Elle a rejoint un groupe de 13 personnes d’horizons divers dans un but de réflexion et d’action au sujet des violences dans les conflits armés, en particulier à propos des violences sexuelles faites aux femmes. De retour en France, elle se mobilise et témoigne.

« Laissez-nous vivre ! »

Tel est le cri des femmes congolaises, le cri de tout un peuple.

Le monde sait, il y a des piles de rapports qui dénoncent tout ce qui se passe en R D C, l’enfer dans lequel des centaines et des milliers de femmes sont plongées et ce depuis plus de16 ans.

Mais sur le plan international, on se tait, on ne dit rien ou presque… De temps en temps, trop rarement, les médias se réveillent, dénoncent, on passe à autre chose, on ne fait pas de vagues… Il est vrai que d’énormes intérêts économiques sont en jeu.

Serait-il possible alors que, face à ces intérêts, nous en oubliions jusqu’à notre dignité d’être humain ?

Je ne voudrais pas le croire, malheureusement le réel est là qui parle de lui-même. Alors que dire… ?

Quels constats avez-vous faits en arrivant sur place ?

D’abord, ces personnes nous ont accueillis et manifesté leur reconnaissance d’être venus jusqu’à eux. Quel contraste !

Nous étions « attendus » tandis qu’ils se sentaient à juste titre « oubliés ». Oubliés du reste du monde, terrible sentiment d’abandon qui a déchiré mon cœur. C’est pourtant une réalité, la vérité. Le monde sait les drames, les souffrances, les violences subies par ce peuple et il ne fait rien, ne dit rien, ou si peu, et il détourne son regard. C’est insupportable, insoutenable.

Je ne vous raconterai pas dans le détail ce que j’ai entendu, les violences dont sont victimes ces femmes, ces fillettes, ces bébés, tout un peuple.

Je ne vous les rapporterai pas tant cela dépasse tout ce que nous pouvons imaginer, ça dépasse notre entendement, cette violence est extrême.

Je peux vous parler d’actes odieux, insensés, d’actes de barbarie, de viols, de mutilations sexuelles, de traumatismes profonds… sans que cela puisse pour autant vous permettre de savoir ce qui se passe vraiment…

Qu’est-ce qui demeure en vous, au sortir de ce voyage ?

Des visages, des regards, des paroles, une expérience forte, inoubliable.

Mon cœur est à l’envers et des larmes coulent. Ces mêmes larmes que celles que j’ai versées là-bas.

Je repense au moment où nous sortions de l’hôpital Panzi à Bukavu, où nous venions de rencontrer le docteur Denis Mukwege avec son équipe, puis du centre psychiatrique Sosame, du centre d’écoute des femmes Olame. Ce que je venais d’entendre dépassait tout. L’horreur à son comble.

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crédit photo Bernard Ugeux

Ce que je vivais alors, je ne saurais le dire exactement : c’était au-delà de la sensibilité, de l’affectivité, c’était d’un autre ordre. Ça devait toucher des zones très profondes en moi. Il y avait de l’effroi, de la colère, du désarroi, un sentiment d’impuissance, de profonde incompréhension devant quelque-chose qui ne paraissait pas possible, qui ne devrait pas être possible, quelque chose d’inimaginable… et qui pourtant existe.

Comment est-il possible d’imaginer une telle déshumanisation, un tel déchaînement de violence ?  Existe-t-il un chemin d’espoir pour ces femmes et cette population ?

Il y a en moi des récits terribles, des regards vides, tristes, des visages ravagés, marqués, des silences lourds.

Il y a aussi des questions, les leurs comme : pourquoi le monde ne nous vient-il pas en aide ?

Et les miennes : comment l’homme peut-il poser de tels actes ? Comment est-ce possible ? Et… Qu’est-ce que je fais moi là où je suis ? Et toutes ces questions sur le sens …

Mais il y a plus que cela en moi.

Ces visages de bonté, ces regards emplis de respect, de bienveillance, de douceur, de compassion, ceux là mêmes qui sont aussi par moments ravagés de douleur, de questions, d’incompréhension, de colère, et d’une extrême fatigue.

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Crédit photo Bernard Ugeux

Ces hommes et ces femmes, médecins, soignants, écoutants, psychologues, traumatisés par ce qu’ils voient, entendent; épuisés, mais qui inlassablement continuent de se pencher sur ces femmes, ces enfants, ces hommes et sans faiblir prodiguent leurs soins, posent un geste, un regard, offrent une écoute, osent un mot.

Et tous ces anonymes qui vivent une vraie solidarité, qui donnent non pas de leur superflu mais de leur nécessaire, un toit, un repas, accueillent un enfant, aident une femme à se remettre au travail…

Je salue non seulement leur courage, leur don d’eux-mêmes, mais aussi leur créativité à tous, leur bon sens, leur intelligence du cœur.

Que d’amour, de bonté, de temps donné sans compter, sauveurs d’humanité en l’homme là où parfois on pourrait désespérer et penser qu’elle a désertée.

J’ai entendu leur fatigue, leur cri, « trop c’est trop, ça fait déjà trop longtemps que ça dure ! Il faut que ça s’arrête !». Sortir de cet enfer…

Et ils sont toujours sur le front, debout, passeurs de vie, aidant tous ces hommes et toutes ces femmes à dire, mettre des mots, panser leurs blessures, lentement se reconstruire, physiquement, psychiquement; retrouver le fil parfois tellement fragile de la vie et  pouvoir à nouveau un jour envisager un avenir.

Je ne saurai vous dire leur joie, la joie qui éclate tout à coup sur ces visages harassés de fatigue, de tristesse, quand vient poindre le moindre petit signe de vie retrouvée, de « résurrection » chez ces victimes. Cette joie fait place sous mes yeux à la force de vie qui les anime, à leur foi, leur espérance, laissant s’épanouir des sourires, véritable hommage à la vie. Comme ils sont beaux….

Quel dur combat pour la vie, et quelles victoires !

Au fil des jours, au quotidien, depuis 16 longues années… C’est bien cela qui les fait courageusement tenir dans cet enfer : la vie qui reprend ses droits, toutes ces victoires sur la violence et sur la mort.

Dans l’enfer où ils se trouvent et l’abattement bien légitime parfois, je reste profondément émue, bouleversée d’entendre de leur bouche l’espérance qu’ils portent et d’en être témoin.

Même si parfois elle est ébranlée et vacille, ils s’accrochent à leur foi, ils veulent croire en l’homme, en la vie, encore.

Aujourd’hui en témoignant, vous souhaitez faire  passer quel message ?

Vous ouvrir mon cœur et partager ces mots avec vous est un moyen déjà, si petit soit-il, de leur rendre hommage, d’être avec eux, de poursuivre mon engagement et de vous inviter à vous engager aussi, de faire reculer toute forme de violence, de prendre soin enfin, de la vie, d’être des humains.

Ce groupe de recherche et d’action  a élaboré un document qui présente la situation et propose des « outils » pour aider les personnes sur le terrain.

Rencontre avec Christine Isopet Toulousaine qui a participé à de nombreuses sessions PRH, interview réalisée par Philippe CHARRIER formateur PRH

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