Soyez les bienvenu.e.s…

Dès ma prime enfance, j’ai côtoyé chaque jour des personnes qui  m’étaient  »très autres ». C’est une grande chance, mais il m’a fallu du temps pour en prendre conscience et pour mesurer l’importance des habitudes relationnelles qui m’ont ainsi été offertes. Aujourd’hui je vois clairement tout cela, je peux en témoigner.

Les gens autour de moi, petits et grands, m’étaient  »autres » par leur langue, leur culture, leur religion, leurs vêtements, leur maison, et même par leur manière de s’émouvoir, d’être affectueux ou de s’entr’aider.

Quand nous jouions entre enfants devant chez nous, sur le trottoir, avec nos noyaux d’abricots ou nos osselets, ou à chat perché, etc, je ne comprenais pas ce que mes copains et copines se disaient (ils se parlaient en Arabe ou en Kabyle). Alors, je me servais de mes yeux pour bien les voir, de mes oreilles pour bien entendre l’inflexion de chacune de leurs voix, avec je-ne-sais-quoi d’intuitif pour ressentir chacun, chacune, dans sa propre manière-d’être. Parfois, le soir, juste avant le sommeil, je retrouvais l’émotion qui me faisait amie de telle ou tel, et je prononçais avec joie son prénom que j’avais entendu et retenu.

Obligée de me passer des mots pour communiquer, j’étais amenée à le faire autrement.     Et, par une étrange alchimie, je crois que ce  »manque » de langage entre nous, allié à mon grand désir de rencontrer les autres, m’a ouverte plus largement, plus profondément peut-être.

Chacun était pour moi dès l’abord bien-venu dans ma vie ; et eux aussi, qui ne me comprenaient pas non plus, m’accueillaient comme bien-venue dans la leur. Nous étions presque tous dans un état d’esprit espiègle, accueillant et partageur. Entre nous, les arrière-pensées, les peurs ou grilles de lecture qui auraient pu nous maintenir à distance les uns des autres n’ont pas fonctionné, notre jeunesse nous en a sans doute préservés. Pour ma part, mon besoin de  »lier connaissance » était grand. Tout s’est ainsi fait tout doucement, paisiblement. Et, même si, un peu plus tard, je me suis trouvée tiraillée entre ce vécu et les censures coloniales explicites ou implicites, la voie de la rencontre et du partage s’était ouverte. C’était fait, je n’ai plus jamais eu à en douter, même dans les moments les plus complexes ou douloureux.

En laissant émerger tout cela aujourd’hui, me reviennent aussi les dangers, chimères et misères qui de par le monde blessent notre humanité. Comme bien d’autres, je suis troublée, atteinte, par la férocité absurde des guerres. Je vois bien les angoisses et insécurités qu’il y a derrière de multiples fermetures, murs, exclusions et massacres qui surgissent actuellement et perdurent. Je vois comment l’indifférence ou la paresse sont des réponses tentantes, comment l’irréalisme, la mégalomanie ou l’inhumanité peuvent chercher à en tirer profit. Je vois aussi que, parfois, même des relations interpersonnelles heureuses s’en trouvent perturbées.

Devant la réalité de toutes ces violences, fermetures et hostilités, c’est vrai que se souhaiter la bienvenue les uns aux autres par-delà chaque obstacle peut paraître dérisoire. Mais ce n’est  pas si sûr, pourtant.

Car, vraiment, ce n’est pas rien de pouvoir accueillir de prime abord chaque autre, comme un  »très autre » qui a d’autres besoins que soi, une autre histoire, une autre identité, une autre manière de communiquer, de se fier et de vivre ses liens. Ce n’est pas rien non plus de pouvoir se dire mutuellement, par l’attitude, le geste ou la parole : «Ecoutez-voir[1]nous avons des choses à nous dire et à nous partager».

C’est, je crois, la voie du direct, du cœur-à-cœur. Qu’il s’agisse de personnes ou de peuples, elle nous emmène ensemble, en quête du bien-commun et d’un heureux partage des apports de chacun.e. Elle éveille le goût de découvrir des univers nouveaux et inattendus. Et par cet éveil, dans ce climat d’humanité, se vivre bien-venus les uns pour les autres, sans condition préalable, sans exclure personne d’avance, suscite en chacun, chacune, une courtoisie qui nous donne de l’aisance et nous amène très simplement à  »bénéficier » les uns des autres et à en être heureux.

Ainsi va la Vie, de l’un.e à l’autre, d’un jour à un autre, par monts et par vaux, et par-delà les murailles. Pour chacun, et ensemble.

Si ce témoignage vous a rejoint et si cela vous dit, poursuivons ensemble : à la lumière de votre propre vie, diriez-vous à votre tour quelque chose de la relation entre soi et Autrui ?

Ghislaine Voguet, collaboratrice PRH

Alger, le 15 novembre 2024


[1]        « Ecoutez-voir»  est le titre d’un roman d’Elsa Triolet. – Elle écrit en exergue : « »Écoutez-voir »… locution populaire, entrée en matière, demande d’attention, proposition de dire et de montrer… »,

2 commentaires sur « Soyez les bienvenu.e.s… »

  1. Ce texte rejoint ce que je porte en moi. Je le trouve très juste, très beau, très ouvert. Il rejoint ma manière de comprendre les relations et le monde. Merci de tout cœur.

  2. Merci Ghislaine pour ce très beau partage qui résonne avec ce que j’ai découvert de moi dernièrement.

    La semaine dernière, alors que je m’étais garé, certes, de façon peu conformiste sur un parking saturé, jour de marché, mais en veillant à laisser le passage disponible pour tous les autres véhicules, j’ai trouvé sur mon pare-brise un bout de papier sur lequel était manuscrit : Quelle honte que de pensée à soi. La gendarmerie est prévenue. »

    À sa lecture, je ressenatais de la colère en moi. Et en explorant cette sensation, j’ai compris d’où venait cette colère : d’une aspiration à des relations authentiques d’être à être et de leur empêchement par des jugements condamnatoires tels que celui écrit sur ce bout de papier. J’ai même perçu cette aspiration relationnelle de mon être vis à vis de l’auteur de ces mots.

    Depuis, j’ai poursuivi mon cheminement sur le sujet : en effet, lundi, lors d’une méditation, je me suis surpris à découvrir une appréhension vis à vis de mes proches : celle d’être jugée par eux et de me comporter de façon inauthentique à leur égard.

    Voilà ce que rejoint en moi ton article, Ghislaine : cette aspiration aux relations authentiques que permet cette ouverture à l’autre en se débarrassant de tout préjugé. Merci.

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