« Une saine image de soi est à la fois bonne et mauvaise »

Rencontre avec MOUSSA NABATI(*)

Se sentir unifié, unique ; vivre dans la permanence de notre valeur quelles que soient les situations et trouver la bonne distance vis-à-vis des personnes : tels sont, selon MOUSSA NABATI, les enjeux de l’image de soi

Comment définiriez-vous l’image de soi ?

Moussa Nabati : C’est le sentiment indicible, ineffable, de ne pas être quelqu’un d’autre, d’être celui qu’on est, qu’on a toujours été, dans une continuité, alors même que l’on a grandi, évolué. Cette représentation mentale qu’on a de soi ne se réduit à aucune réalité objective, précise- ni ma fonction sociale, ni mon corps, etc- elle unifie les différentes pièces de notre identité plurielle. L’image de soi se base sur des processus d’identification ( être comme) et de séparation successifs. Elle procure le sentiment de partager avec d’autres certaines caractéristiques ( par exemple de sexe et de génération) tout en se trouvant différent d’eux : un exemplaire unique

Qu’est ce qui caractérise une « bonne » ou une « mauvaise » image ?

M.N. : Je préférerais parler d’une image saine de soi, car « bonne » ou « mauvaise » sont des jugements que l’on porte. Ils paraissent opposés mais reposent tous deux sur l’orgueil. Une mauvaise image est basée sur la toute-puissance : « je ne suis pas à la hauteur » comme si j’exigeais de moi de réussir partout ! La « bonne image » , elle, vient réparer le sentiment d’être impuissant. Une image saine est à la fois bonne et mauvaise : « je suis confiant dans mes capacités mais conscient de mes limites»

Une saine image de soi se caractérise par sa permanence : même si je suis vieux, malade, pauvre, je ne m’écroule pas, j’ai une colonne vertébrale, je demeure un être humain valable. Quand on n’a pas une saine image de soi, on est toujours déchiré entre l’idéal ( ce qu’on voudrait être) et la réalité. Cette « guerre civile » intérieure est épuisante et entraîne une perpétuelle surenchère.

Quelles sont les causes d’une mauvaise image ?

M.N. : J’ai tendance à me voir comme j’ai été regardé, à m’estimer ou à me mépriser, à me bien traiter ou me mal traiter, à la façon dont j’ai intériorisé l’attitude de mes parents à mon égard. Toutes les perturbations de l’image de soi ( mégalomanie ou dévalorisation) prennent leur origine dans ce que j’appelle la DIP, la dépression infantile précoce. Celle-ci intervient lorsque l’enfant a manqué d’amour ( il en déduit qu’il n’est pas digne d’être aimé) mais aussi s’il a été témoin de la souffrance de ses parents car il est alors convaincu d’être « mauvais », que tout ce qui se produit est de sa faute. Dernière circonstance possible : lorsque l’enfant est aimé de façon trop fusionnelle , que ses parents lui demandent de leur donner tout l’amour qu’ils n’ont pas reçus de leurs propres parents ou de réparer leur couple bancal. Ses parents ne le désirent pas gratuitement, pour lui-même, mais ils ont besoin de lui. Lorsqu’on est aimé gratuitement, on peut s’aimer gratuitement plus tard, indépendamment de ce que l’on est et de ce que l’on a. Si on a été conçu dans le besoin, plus tard on aura besoin de preuves pour justifier son existence.

Est-ce à dire que tout serait joué dans l’enfance ?

M.N. : Il n’y a aucune fatalité, notre histoire n’est pas écrite une fois pour toutes. :. Mais il faut la connaître, la revisiter, pour se dégager de la culpabilité et ne plus en être prisonnier. Le fait d’avoir souffert peut devenir une source d’énergie extraordinaire !

A quoi peut-on mesurer une bonne image de soi.

M.N. : Elle permet d’être dans un lien de désir et non de dépendance vis-à-vis des personnes et des choses (argent, pouvoir, travail, etc. …). La solitude peut être un test. Si on ne la supporte pas, c’est qu’on a besoin d’une canne, d’un échafaudage, on a peur de ne pas se sentir vivant seul. D’ailleurs, quand on ne peut se passer de quelque chose ou de quelqu’un, on ne peut pas en profiter non plus. Lorsqu’on existe par et pour soi-même, on devient libre, on établit des rapports vrais avec soi et avec les autres. Si mon conjoint me quitte je serai malheureux (se) mais je ne vais pas m’écrouler. Je finirai par cicatriser et m’attacher à nouveau

Propos recueillis par Marie-Christine Colinon

Extrait de la lettre PRH N° 30 : « mon image : miroir fidèle ou déformant »

(*) Psychanalyste, docteur en psychologie, thérapeute et chercheur, Moussa Nabati  exerce dans le Jura , dans une unité de soins spécialisée dans la dépression. Il est l’auteur de : « Le p ère, à quoi ça sert ? « (éd . Jouvence , 1994 ), « La Dépression » ( éd. Bernet-Danilo, 2002), « L’Humour-Thérapie » (éd. Bernet- Danilo, 2002), » La Dépression : un e maladie ou une chance ? » (é d. Fayard, 2005) e t « Le Bonheur d’être soi » (éd. Fayard 2006)

7 commentaires sur « « Une saine image de soi est à la fois bonne et mauvaise » »

  1. L’ajustement de son image est un exercice qui doit être repris sans cesse. Des potentialités nouvelles émergent, des limites se font sentir. Je ne suis plus tout à fait le même qu’il y a quelques années. Se voir en vérité aide à prendre des décisions saines qui me permettent de donner mon potentiel sans tirer sur mes capacités. Un chemin de vérité et d’humilité sur lequel je ne peux me limiter à ce que les autres voient ou ne voient pas en moi.

  2. En lisant cet article, je ressens le besoin de laisser monter en moi, les images des personnes-ambiances-lieux-paysages-lectures-jeux ou téléfilms (…), qui m’ont permis de développer un peu de mon estime.

  3. Découvrir l’image de soi est une belle façon de s’approcher du réel. Grace au stage ‘ la vie en moi et ses entraves’ j’ai pu visualiser, prendre conscience de mon image et accepter qu’elle soit évolutive. Le travail continue … Merci pour cet article !

  4. Merci pour ces propos recueillis par Marie Christine Colinon ,propos de Monsieur Moussa Nabati.
    Quel vaste et complexe sujet de réflexion que l’image de soi!
    Cette phrase de Monsieur Moussa Nabati :
    « L’image de soi c’est le sentiment indicible,ineffable de ne pas être quelqu’un d’autre,d’être celui qu’on est,qu’on a toujours été, dans une continuité alors même qu’on a grandi,évolué. « , est un juste éclairage.
    À la relecture de notre vie ,ce sentiment qui définit notre image se ressent ou s’altère à des degrés divers selon notre vécu, surtout à certaines étapes charnières de notre parcours.Si je prends l’exemple « de ma mise à la retraite »,il m’a fallu vivre une étape de grande réflexion et recherche pour ressentir « qui j’étais » sans « travailler »,dans un monde nouveau,loin de l’enseignement ,de la pédagogie, des élèves, collègues et parents d’élèves. ..relations qui caractérisaient qui j’etais.L’environnement avait changé, moi non ,et pourtant le ressenti de mon image avait ,lui , une autre couleur …
    Ce sont d’autres relations humaines nouvelles, auquelles je fus sensible , car importantes par leur humanité, qui m’ont permis de ressentir à nouveau ce sentiment vrai d’être dans une continuité.
    Notre relation à autrui est le terreau nécessaire pour que nos valeurs s’incarnent, richesses de notre saine image.
    Nos valeurs intrinsèques nous caractérisent en profondeur alors que nos potentialités peuvent ,pour certaines , diminuer voire disparaître au profit d’autres qui peuvent se révéler de véritables trésors, pour nous comme pour autrui…aussi ces fluctuations de nos potentialités sont moins aidantes pour la vision de notre image .
    Chaque jour est un monde nouveau à construire ,faut il encore pouvoir toujours rebondir, pour continuer à grandir afin de rester fidèle à l’être unique que nous sommes.

    Françoise

  5. Ce que j’apprécie surtout c’est :
    1. La saine image est celle de mon unicité, cad de qui je suis vraiment, cette image est permanente, je peux compter dessus.
    2. Mais c’est un travail toujours nécessaire de revenir à ce « territoire d’être » car je peux m’égarer et me croire ou me vouloir autre. Revenir demande humilité, réalisme, goût de la vérité et amène le bonheur de « se retrouver ».

  6. En effet, image et imagination, même saines, ne sont pas loin l’une de l’autre…
    S’agirait-il, plus que de se “voir” telle une image, s’agirait il de se sentir, de ressentir notre ADN intérieur, celui qui nous con-figure de manière unique, celui qui nous appelle sans cesse et discrètement à “persévérer dans l’être” à grandir dans notre axe pour, tel le flocon de neige dans son unicité, se réunir aux autres et participer ainsi à la Beauté du monde?
    Se saisir, se re-tourner jusqu’à la racine unique de notre élan de Fond qui nous invite sans cesse, si nous y sommes attentifs, à devenir toujours plus ce “qui nous sommes” d’Eternité.

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