Michel Lamarche, ancien formateur PRH et visiteur de prison : « J’ai expérimenté combien la bonté peut être contagieuse »

Michel Lamarche a été formateur PRH pendant 23 ans. Engagé comme visiteur de prison, il nous partage son expérience.

Le blog de PRH-France : Bonjour Michel, pourrais-tu te présenter ?

Michel Lamarche : Je suis marié avec Marie-Bernadette ; nous habitons en région parisienne. Nous avons deux grands enfants mariés et 5 petits enfants.

J’ai été formateur PRH pendant plus de 20 ans. Ma femme a également été formatrice PRH et ensemble nous avons animé des sessions de couples. Depuis 1992, je travaille au sein de PRH international pour la rédaction de plusieurs ouvrages clés.

Enfant déjà j’avais du goût pour l’écoute. Mes premiers entretiens ont été avec mes petites sœurs en difficulté avec notre grand frère. Mon écoute était ma manière à moi d’aimer les personnes.

A l’issue de mes études de psychologie, j’ai travaillé auprès de femmes dépendantes de l’alcool. Ce poste m’a révélé que j’étais davantage formateur que thérapeute : j’étais intéressé par donner des outils pour aider la personne à conduire sa vie, à se mettre debout.

En 1980 ma rencontre avec PRH a été une révélation. L’anthropologie PRH me correspondait tout à fait.

Cette façon de donner la priorité au cœur de la personne, son être, cette manière de croire que l’Homme porte en lui ce qu’il faut pour aller vers du meilleur. Chacun a une marge de manœuvre, même petite : cela exclut la fatalité et la désespérance.

Travailler à cela à PRH a été passionnant et source d’un profond bonheur, ce qui n’a exclu ni les combats ni les difficultés. Aujourd’hui, en écrivant pour PRH, je cherche à servir cette vision de l’homme.

Le blog de PRH-France : Comment en es-tu venu à t’engager dans le milieu carcéral ?

Michel Lamarche : A un moment où ma santé s’améliorait après une méningite qui m’avait laissé pas mal de séquelles, j’ai été contacté pour remplacer un aumônier de prison sur le départ. A cette époque, je me posais moi-même la question de m’engager auprès de personnes parmi les moins favorisées et je pensais aux détenus. Je me disais : si quelqu’un parvenait à les aider à découvrir leur être profond et combien il est aimable, il s’en suivrait quelque chose de bon pour eux. Le premier barreau qui enferme ces personnes, n’est-elle pas cette image de coupable, de malfaiteur, de criminel, qui leur colle à la peau ? Comment devenir qui on est vraiment et s’ouvrir à une transcendance quand soi, les autres et la société, sont persuadés que nous ne sommes bons qu’à être enfermés pour protéger la population de notre malfaisance ?

Ce concours de circonstances entre une aspiration personnelle et un événement permettant de la réaliser, loin d’être le premier dans ma vie, m’a fait sourire. Je me suis donc engagé pendant près de 8 ans, d’abord dans un centre de détention en province, puis en région parisienne dans une maison d’arrêt.

Le blog de PRH-France : Qu’as-tu ressenti en découvrant le monde carcéral ?

Michel Lamarche : Le premier contact avec ce monde carcéral a été, je l’avoue, assez choquant. Je n’étais pas habitué à vivre dans une ambiance de peur et de méfiance perpétuelle, qui nous valait de constantes mesures de sécurité. Je n’avais pas non plus vécu en zone aussi ‘minée’, avec des explosions imprévisibles de violences verbales ou physiques entre les détenus ou avec les surveillants. Une tension latente est là en prison, alimentée par un regard, un mot de trop, un refus, une menace, une surpopulation inhumaine (souvent 3 détenus pour une cellule de 9 m² en maison d’arrêt)…

La prison est une chambre d’écho, tout y est amplifié. Heureusement les petits bonheurs le sont aussi. Une lettre, une visite, une attention, la gentillesse d’un surveillant, la générosité d’un autre détenu, l’obtention d’un travail, d’une permission, un moment de partage ont le pouvoir de réanimer un détenu déprimé, de réveiller un espoir, d’apaiser un tourment, d’enclencher une dynamique plus positive à l’égard des autres et de sa propre vie. Je me suis engouffré dans cette petite brèche d’humanité bienfaisante possible.

Le blog de PRH-France : Quel était ton rôle auprès des détenus ?

Michel Lamarche : Avant de rencontrer les détenus, je croisais plusieurs agents pénitentiaires. J’avais à cœur d’adresser un bonjour chaleureux à chacun, et si possible de leur faciliter leur travail. Je me suis rendu compte combien leur rôle est exigeant, ingrat, et souvent éprouvant. Avec certains, une réelle coopération s’est installée : ils me signalaient tel ou tel à visiter car le moral avait flanché et me donnaient des informations importantes pour ma mission. J’ai rencontré de belles personnes soucieuses du bien des détenus. Mais j’ai dû souvent batailler pour rester ouvert et attentionné à d’autres aux comportements rigides, intransigeants, humiliants,…

Je visitais les détenus qui le souhaitaient dans leur cellule. Je lisais souvent sur leur visage la joie qu’ils avaient à ce que quelqu’un se déplace pour eux, pour un moment gratuit dont ils ressortiraient avec un petit quelque chose en plus. J’étais reçu souvent en présence d’autres détenus qui n’avaient rien demandé. A chaque fois, j’essayais de m’intéresser à chacun, de prendre des nouvelles quand je savais qu’un événement important s’était passé, de rendre des services comme écrire une lettre, ramener une paire de lunettes loupes. Par mon écoute et ma bienveillance, je désirais leur communiquer ce que je ressentais envers eux : ils avaient chacun une place particulière en moi, les rencontrer était quelque chose d’heureux. Ce sont des frères en humanité tellement proches de moi avec leurs richesses, sources de bonnes choses, avec leur fragilité, et leurs dysfonctionnements causes de tant de malheurs. Une profonde compassion me prenait aux tripes quand je rencontrais cette part de leur humanité si abimée et défigurée par des vies tellement cabossées et cabossantes pour eux-mêmes, pour leurs victimes et pour la société.

Comment les aider à retrouver le chemin de leur être, restaurer en eux beauté, dignité, bonté, empathie pour eux-mêmes et pour leurs victimes, détermination à renoncer à toute forme d’inhumanité ? Je n’avais pas de baguette magique. Je n’ai rien d’un orateur persuasif. En revanche, j’ai appris par expérience personnelle combien la bonté pouvait être contagieuse. Je n’avais rien d’autre à offrir que mon être, ce meilleur de ma propre humanité envers eux. En ce lieu coule une source d’amour et s’y est agrégé un roc solide de foi en une croissance possible pour toute personne. J’ai vécu ces années l’espérance chevillée au corps que ces petites suées d’humanité qui transpiraient de mon être auraient un jour une influence sur leur envie de devenir meilleur. Ma joie était grande quand je constatais que l’un d’entre eux changeait et parfois qu’il se mettait à penser que le passage par la prison pouvait finalement être une bonne occasion de se poser des questions et de casser les fils d’une vie pourrie, de relations malfaisantes…

Le blog de PRH-France : Quel a été l’impact de cette expérience pour toi ?

Michel Lamarche : Cette expérience relationnelle avec les détenus a eu un grand retentissement sur ma croissance.

La première transformation qu’elle m’a offerte, c’est une qualité nouvelle de présence à l’autre, pour lui, à son service, s’il le souhaite. Je vivais une nouvelle liberté intérieure qui me rendait beaucoup plus disponible et créatif. Avant d’ouvrir une cellule, je cherchais souvent à rejoindre cet espace en moi d’ouverture à l’autre tel qu’il est aujourd’hui : en forme ? RAS (rien à signaler) ? Indifférent ? Fermé ? Agressif ? En pleurs ? Désespéré ? Je me préparais à l’accueillir avec son réel comme on reçoit un bouquet de roses (épines comprises), avec reconnaissance et précaution. Mon acceptation de son réel ne serait sans doute pas neutre pour lui sur le moment ou plus tard.

Ma deuxième évolution, c’est une confiance nouvelle : je pouvais m’appuyer sur la certitude que tout me serait donné au fur et à mesure. Avec le réel du détenu et avec le mien, nous allions tisser quelque chose de nouveau, d’imprévisible, de bon, où chacun serait acteur et interagissant avec l’autre. Certaines visites me restent encore aujourd’hui comme lumineuses de vérité, de bascules intérieures, de prises de conscience.

Que l’homme est beau quand son humilité le pousse à reconnaître ce qui se passe en lui !

Le blog de PRH-France : Pourrais-tu évoquer des rencontres qui t’ont marqué?

Michel Lamarche : C’était un gars du voyage, un gars très sympa et très croyant. Je souhaitais aller le voir pour lui dire que je finissais mon mandat. Je lui avais préparé une carte pour lui dire tout ce que j’avais dans le cœur le concernant. De son côté il avait en lui depuis un moment de me demander si je pouvais lui donner une carte représentant la Cène de Léonard de Vinci. Et la carte que je lui avais préparée était précisément une représentation de ce tableau ! Il était bouleversé et moi aussi.

C’était un tout jeune gars, tout juste 20 ans. Il était détenu dans un quartier spécial complètement sécurisé (il était impliqué dans une histoire d’attentat).

Ce petit gars était perdu ; en s’associant au terrorisme il pensait avoir fait quelque chose de bien et là en prison il ne savait plus : avait il fait le bon choix ? Se pouvait-il qu’il se soit fourvoyé ?

Je lui ai dit combien ses questions étaient importantes, que j’étais à sa disposition. Petit à petit il a fait tout un chemin, il a pris conscience qu’engendrer la mort n’était pas ce qu’il voulait. Lui, il avait envie d’aider ses frères de quartier. Petit à petit il trouvait sa boussole.

C’était un Palestinien. Il avait perdu sa femme et ses enfants dans un attentat. Il pensait que je pourrais lui apporter du shit. Je n’en revenais pas ! « Ah Non ! Je ne peux pas », lui ai-je dit. Je lui ai dit les conséquences pour lui et les autres détenus si je trahissais la confiance des gardiens : plus de visites, isolement des détenus, renforcement des mesures coercitives …et là il me serre la main et me dit : « Vous avez raison ».

C’était un gars qui en avait gros sur la patate, il était désespéré.

Je l’ai pris à part, on a causé un peu. Il a réussi à exprimer le malheur en lui de sa violence à l’égard d’une femme. Petit à petit quelque chose s’est apaisé. A la fin je l’ai pris dans mes bras et je l’ai serré fort, ce que je ne faisais pas habituellement. Quelqu’un qui rencontre sa faute, qui n’est pas dans le déni, c’est très beau. J’ai senti en lui une lumière qui se rallumait.

Le blog de PRH-France : Est-ce que ton métier de formateur PRH t’a aidé en prison ?

Michel Lamarche : Il est évident pour moi que mon métier de formateur PRH, mais aussi tout le chemin personnel psychologique et spirituel que j’ai parcouru grâce à cette psychopédagogie et d’autres approches, m’ont été d’une aide constante dans ma mission. C’est plus avec l’école PRH qu’avec mes études de psychologie que je comprends un peu la personne humaine et que j’ai appris comment l’aider à progresser. Le schéma de la personne en croissance est une grille de lecture géniale, toujours en arrière-fond en moi pour comprendre et savoir où agir. Mes années d’écoute comme formateur ont sensibilisé mes oreilles au vécu des personnes, elles ont transformé mon regard, déconstruit beaucoup de mes préjugés, et ont fait sourdre une source d’humanité bienveillante. Durant ces années à la prison, mon bonheur a été d’irriguer la terre intérieure de ces hommes blessés et devenus blessants avec ce qui peut transformer quelqu’un : l’amour relié à la source transcendante de l’amour.

Propos recueillis par Marie-Odile Lortz, collaboratrice PRH

14 commentaires sur « Michel Lamarche, ancien formateur PRH et visiteur de prison : « J’ai expérimenté combien la bonté peut être contagieuse » »

      1. Mais que du beau témoignage là ! Je n’ai pas eu la chance de côtoyer Michel mais j’apprécie ses belles contributions dans les livres PRH et ici, dans ce témoignage inspirant, son humilité et sa bonté aimantes. Tout le monde ne pourrait faire ce qu’il a fait.
        J’adore : « Que l’homme est beau quand son humilité le pousse à reconnaître ce qui se passe en lui ! » c’est tellement vrai. Merci, je vibre !

      2. Merci Sandrine pour l’enthousiasme de ton commentaire. Tes vibrations sont communicatives !

  1. Merci pour le témoignage de Monsieur Michel Lamarche ,si émouvant !

    Tant d’écoute pour aider ces personnes incarcérées !Que c’est beau!

    Je retiens ces phrases:

    « Cette façon de donner la priorité au cœur de l’homme.Chacun a en lui ce qu’il faut pour aller vers du meilleur. Chacun a une marge de manœuvre même petite, cela exclut la fatalité et la désespérance . »

    Dans notre monde difficile,se sentir écouté,serait une consolation pour tant d’exclus même « invisibles « .

    Puissions nous être parfois consolateur…et aussi parfois consolé…

    Françoise

  2. un grand merci Michel pour ton témoignage bouleversant et merci a la collaboratrice ! Je suis émerveillée de ces rencontres et de cette vérité . Il faudrait beaucoup de gens comme toi en visiteur de prison !

    1. Merci Agnès de nous partager votre émerveillement. oui, il faudrait beaucoup de gens qui ont une telle ouverture du coeur, en prison et partout ailleurs.

  3. Merci pour ce témoignage qui me rejoint parfaitement car j’ai travaillé pendant 28 ans comme chirurgien dentiste dans plusieurs prisons. J’ai vecu dans ces lieux les plus beaux moments de ma vie . Jai appris ce qu’est Aimer veut dire . J’ai aimé ces etres avec tout ce que mon cœur contenait d’amour ,bonté, compréhensible, compassion. J’étais Vivante car Aimante. Ce que ces etres mont donné, cest le double de ce que je leurs ai offert. Aujourdhui en etant en retraite, je leurs dit un grand MERCI pour ce qu’ils et elles mont offerte comme Terre d’Amour sur la quelle ,je me pose aujourd’hui .

    1. Merci pour votre engagement et pour votre très beau témoignage qui confirme ce que Michel Lamarche a partagé : l’humanité est possible partout, y compris en prison.

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