Méditerranée

Lumière douce et souveraine aujourd’hui sur la baie d’Alger. Contours nets et légers des immeubles, des arbres, des luminaires. L’air bruisse de mille et une claques de vent, et je marche au milieu des autres promeneurs.

Vaste et puissante, la mer nous borde, nous établit, nous élargit. Son mouvement libre et continu porte loin, aux confins de nos terres ancestrales. Et dans les territoires qu’elle sépare et relie depuis des millénaires, elle tient mémoire de brassages ethniques, culturels, religieux, et d’antagonismes obscurs. Mémoire profonde et dense, transportée dans le sillage des bateaux, tracée lors des étapes d’aiguade, accueillie et continuée sur chaque rivage. Mémoires de peuples et de pays …

La « Mer au milieu des terres » suscite et nourrit notre désir mystérieux et tenace de fraterniser par-delà des peurs et des misères qui attisent les inimitiés, la belligérance et l’esprit de domination.

Je suis par ma naissance et par mon histoire l’un des humbles témoins de cette aspiration à fraterniser qui, sur nos diverses rives, émane au quotidien de la vie populaire.

Nous sommes mêlés et liés, depuis si longtemps … En Algérie, en Égypte, en Turquie, en Grèce, en Italie, en Espagne, sur la côte française, je l’ai toujours ressenti, malgré la dureté des guerres, les rêves de puissance, les postures partisanes, les comparaisons, les surdités mutuelles.

Oui, il y a en Méditerranée une gentillesse, une spontanéité chaleureuse qui cherche à traverser les écorces de bois mort et d’inhumanité ; une communication espiègle et familière au-delà des mots, dans les yeux les sourires et les gestes ; un savoir-vivre habituel et immédiat entre des gens aux origines diverses et brassées depuis tant et tant de siècles … Cela n’abolit pas les convoitises, les violences, les mensonges de toutes sortes, mais c’est une permanence qui résiste aux brutalités, elle est intacte et vigoureuse.

Je tiens mon goût de la vie et de la dignité humaine de cette culture qui parvient cahincaha à mettre des gens ensemble, à passer sur les chicaneries et les désespoirs. Il y a toujours quelque part une joie primordiale qui attend son heure et qui dans l’instant même voudrait célébrer la vie, la beauté du monde et le désir d’être ensemble.

Aujourd’hui, sur la promenade du Front de Mer, longeant sur ma droite des bâtiments chargés d’histoire, accueillant sur ma gauche la splendeur tranquille de la baie d’Alger, croisant les regards, les sourires et les pas des autres promeneurs, je revivais et partageais cette évidence sans prix : nous sommes heureux, quand nous nous vivons ensemble.

Et l’air de rien, cela nous est vital.

Alors, j’ai senti que ce serait opportun et beau de vous rejoindre, amis blogueurs et de vous partager ce cadeau. Parce qu’en ces temps troublés où tant d’êtres et de choses sont traités en marchandises, où des valeurs humanistes sont souvent invoquées pour tenter de justifier de graves maltraitances et de nuisibles manières, peut-être qu’au fond ce bonheur-là nous concerne tous, sous des formes et des consonances différentes, chacun sur sa propre terre et sous son propre ciel.

Alger, le samedi 5 août 2023

Ghislaine Voguet, collaboratrice PRH

5 commentaires sur « Méditerranée »

  1. Merci Ghislaine pour ce texte empreint de tant de poésie, de nostalgie douce, qui vient traverser comme un souffle la méditerranée pour nous rejoindre sur nos côtes personnelles.
    C’est comme un chant lointain et proche, une sourde mélodie, qui vient faire résonnance.
    Ce souffle chaud, parfois brûlant, qui nous vient d’au-delà de la méditerranée, qui nous susurre à l’oreille un message inconnu, qui réveille en nous des senteurs de fleurs, de dattes, la fraicheur au milieu du désert. Tout cela me ravie le cœur et c’est en communion que de chaque côté de la Mer, nous nous tendons la main.

  2. Merci, c’est beau. Je comprends l’épaisseur humaine d’une formatrice, d’un formateur : des anges, permettez-moi, enracinés.

  3. Merci Ghislaine pour cet article qui m’emmène dans une méditation profonde sur l’art de vivre ensemble. Et qui me fait aimer cette si chaleureuse région du monde.

  4. merci pour ce beau témoignage qui fait toucher et voir le bonheur, la joie du vivre ensemble avec toutes nos différences .Il réveille en moi le gout de la fraternité,l le rêve d’un monde bigarré et fraternel,.

  5. La ville d’Alger a vraiment un cachet particulier par rapport aux autres villes de la Méditerranée. Au moment de la guerre d’Algérie, beaucoup de soldats appelés ont eu un éblouissement quand leur bateau arrivait devant Alger la Blanche, construite sur une colline. Et moi, soldat également, je me rappelle plus particulièrement de mon retour à la fin du service militaire : du bateau, je n’arrêtais pas de regarder la ville lumineuse qui s’éloignait. C’était toujours la guerre, mais je quittais un beau pays.
    Il y a quelques années, je suis retourné en Algérie, en avion, à l’occasion d’un voyage organisé par le journal La Croix. Lors d’un après-midi libre, j’ai eu la chance de parcourir aussi à pied la belle promenade du Front de Mer avec un ami. Des Algériens nous ayant repérés comme n’étant pas du pays, nous ont parlé aimablement : un exemple de cette aspiration à fraterniser dont parle G. Voguet.

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