Rencontre avec Émilie Fernandez, responsable d’un Lieu d’Accueil pour les jeunes :  « Faire évoluer ce qui est possible et apprendre à vivre avec les manques »

Émilie est responsable, avec son mari Louis, d’un lieu d’accueil pour les jeunes en difficultés. Ils y proposent un accueil inconditionnel où les jeunes peuvent être eux-mêmes et trouver une sécurité qu’ils n’ont pas reçue.

Le blog de PRH : Émilie, pourrais-tu te présenter ?

Émilie : Je m’appelle Émilie, j’ai 44 ans, je suis mariée avec Louis qui est aussi mon collègue. Je travaille depuis seize ans en tant qu’éducatrice spécialisée auprès de personnes en grande fragilité, d’abord dans un CHRS, Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale pour personnes précaires (SDF, femmes victimes de violences, demandeurs d’asile…) et depuis neuf ans au Lieu d’Accueil où nous accompagnons des adolescents et jeunes adultes en difficultés multiples.

Le blog de PRH : Comment en es-tu venue à créer ce lieu d’accueil ?

Émilie : Il ne s’agit pas d’une création mais d’une reprise. Les créateurs ont commencé il y a 42 ans. Le permanent de l’époque m’a proposé de prendre la relève. Je travaillais alors au CHRS, cela me passionnait mais en même temps, j’avais fait le tour du travail et je ressentais les lourdeurs et contraintes administratives de l’institution.

Cette proposition est venue au bon moment. J’ai tout de suite dit oui : j’avais le désir de travailler dans un Lieu d’Accueil pour les ados depuis mon adolescence. Initialement je voulais que ce lieu « ressource » pour les jeunes soit un centre équestre : j’ai donc fait des études dans l’équitation et dans l’éducation spécialisée. La vie a fait que je n’ai eu ni le terrain ni les moyens pour accueillir également des chevaux.

Ilona qui fête son bac, Louis et Émilie, Axel (nièce)

Le blog de PRH : Concrètement l’accueil se vit comment ? Quelles en sont les valeurs ?

Émilie : Nous pouvons accueillir trois jeunes de 16 à 21 ans. Ils peuvent rester chez nous de quelques semaines à cinq ans au maximum selon leurs projets. Ils sont placés par l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance). Sur les trois que nous accueillons actuellement, deux sont scolarisés.

Notre projet c’est de leur offrir un accueil inconditionnel, les laisser vivre et être tels qu’ils sont, qu’ils puissent se poser et se reposer comme à la maison, qu’ils se sentent en sécurité. Il n’y a jamais de journée type : on s’adapte au projet et au jeune, là où il en est.

Nous sommes disponibles mais non à disposition. Mon mari et moi sommes deux permanents 24h/24, 365 jours par an. Notre fonction, c’est permanent de Lieu d’Accueil. Cela peut parfois faire penser à la famille d’accueil, mais nous sommes plus libres et responsables de nos décisions et de notre positionnement car nous sommes travailleurs indépendants et non pas salariés. Cela diffère également de l’institution où les adultes changent tout le temps. Nous avons aussi une collègue à tiers temps.

Nous mangeons bio et local au maximum, pour favoriser l’éveil de leur conscience écologique. Nous invitons également les jeunes à choisir une association à laquelle faire un don chaque mois pour les ouvrir à la solidarité, leur donner l’occasion de chercher, réfléchir, donner de son temps : cela favorise la cohésion.

Nous prenons le temps de nous parler, de regarder les toutes petites évolutions, les petits riens qui sont si importants. Nous choisissons de regarder le positif : leurs défauts, ils les connaissent par cœur tandis que leurs qualités sont rarement dites.

Ils viennent aussi nous chercher et nous questionner dans nos limites : cela nous met au travail tout le temps ! Nous acceptons de leur montrer nos failles, nos limites : si nous étions dans la perfection, nous serions dans quelque chose d’inatteignable et d’insoutenable, pour eux comme pour nous.

Nous sommes amenés à retravailler avec eux des choses de la petite enfance qui n’ont pas été apprises ni acquises : apprendre à faire évoluer ce qui est possible et à vivre avec les manques, les handicaps psychiques.

Le blog de PRH : Quel regard portes tu sur ces jeunes ?

Émilie : Je vis de la bienveillance et de l’admiration. De la bienveillance parce qu’ils n’ont pas eu un parcours facile. J’ai envie de leur offrir une chance avec un lieu où ils peuvent être pleinement eux avec leurs capacités, leurs qualités tout autant que leurs manques et leurs fragilités. J’ai de l’admiration pour leur résilience, la force de vie qui les habite malgré tout ce qu’ils ont vécu, et pour les progrès dont ils sont capables. Il y a aussi parfois de la lassitude, de la fatigue, de la colère car ils n’avancent pas comme on le voudrait car ils butent, ils répètent… Il faut alors prendre du recul, travailler encore sur soi pour accepter leur rythme, leurs possibles et leurs impossibles. Nous ne sommes pas toujours dans cette bienveillance idéale, nous sommes dans la vie, avec eux.

Le blog de PRH : Quels sont tes points d’appui pour garder le cap ?

Émilie : Il y a d’abord le travail d’équipe pour croiser nos regards et qui nous permet de dire « là je ne peux plus, je te passe le relais ». Nous avons aussi une supervision mensuelle avec un psychologue clinicien et des échanges avec la référente ASE (Aide Sociale à l’Enfance), disponible si besoin. Enfin, de manière évidente pour nous et depuis de longues années maintenant, il y a la formation PRH.

Arthur, Émilie, Ilona à Noël

Le blog de PRH : En quoi la formation PRH t’aide-t-elle ?

Émilie : Pour moi, PRH est un outil indispensable pour mon travail au Lieu d’Accueil. Les jeunes soulèvent des questions, touchent des blessures qui nous invitent à creuser pour tenir et aller plus loin.

Actuellement je suis en FPM (formation personnelle méthodique), je vais à mon rythme, je fais une à deux sessions par an. Mon mari vit la même expérience de son côté.

Il arrive que nous envoyions un jeune en session « Qui suis-je ? ». En neuf ans nous avons envoyé 4 jeunes.

Le blog de PRH : Aurais-tu des conseils à donner aux parents ou éducateurs qui accompagnent des jeunes pas toujours faciles ?

Émilie : Je n’ai pas de recette magique : on ne peut pas généraliser car chaque jeune est différent. L’important est de prendre le temps d’écouter, d’accueillir ce qui vient, de voir le beau dans ce qui arrive. En même temps ce n’est pas toujours possible : s’accueillir aussi avec bienveillance et arrêter de se mettre la pression est très aidant.

Le blog de PRH : Que deviennent ces jeunes après leur départ ?

Émilie : Il y a aussi ceux dont on n’a plus de nouvelles… Mais Le Lieu demeure ouvert, nous restons dans le lien et la relation si les jeunes le souhaitent. Les jeunes savent qu’ils peuvent nous appeler : nous restons disponibles – le numéro de téléphone du Lieu d’Accueil de la maison d’accueil n’a pas changé depuis 40 ans !- mais ce n’est pas nous qui prenons l’initiative.

Émilie et Anaïs revenue en visite

L’été dernier deux jeunes filles sont venues passer une semaine de vacances chez nous. Chaque année un jeune nous souhaite notre anniversaire. Les jeunes nous appellent quand ils sont en galère ou pour nous partager une bonne nouvelle. Une jeune fille qui a accouché parle à son bébé « d’Émilie et de Louis » et a absolument tenu à nous la présenter !

Des jeunes expriment que le Lieu d’Accueil est un lieu où ils se sentent bien, où ils peuvent être eux-mêmes, ils sont reconnaissants envers nous qui avons« tenu ». Pour une autre ça été les trois plus belles années de sa vie. Un autre exprime que la relation vécue n’était pas loin de la relation avec des parents.

Le blog de PRH : As-tu un souhait, un rêve ?

Émilie : Je le vis, mon rêve. Mon souhait c’est que ça continue, qu’on continue à se faire grandir mutuellement.

Propos recueillis par Marie-Odile Lortz, collaboratrice PRH

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